Renaud et Bruel haussent la voix

Le premier  votera blanc. Le second n’hésite pas : ce sera Chirac.

 KA007fhaines.jpg (28828 octets) Ouest France, Dimanche 28/04/2002

 

« Je suis effondré et je me sens responsable, car si on m’avait dit que Jospin arriverait derrière Le Pen, j’aurais voté pour lui. Meme si je trouve que Jospin manque de charisme et qu’il a mené une politique sans ambition . »Le chanteur Renaud reste un nostalgique de Mitterrand « Je suis un incorrigible tonton maniaque, précise t-il, tout en ayant la fibre écolo depuis plus de 15 ans. Au premier tour, j’ai voté Mamere » Et au second que fera t-il ? «  Je voterai blanc. Je vais laisser la droite républicaine se battre contre l’extrême droite… »

Les temps ont changé. Renaud, chanteur énervé et anar engagé des années 80, a mis de l’eau dans son vin » je suis devenu plus désillusionné et désabusé » Il chantera à sa manière sur son prochain album Boucan d’enfer, qui sortira le 28 mai : « Bouger mon cul, m’engager c’est pas d’main que vous  m’y reprendrez

…Les pétitions c’est plutôt bien mais vous n’y verrez plus mon blaze. »

Cependant, lui qui est né et a grandi dans une famille de gauche, dit avoir vécu, dimanche soir, » comme un tremblement de terre. C’est la honte pour la France … »Le vote pour Le Pen le trouble. Il pressent que les artistes devraient peut être se bouger : »Je vais téléphoner à Bruel pour lui demander s’il pense organiser quelque chose. ».  

 Dimanche dernier, 20 heures, devant la télévision, Renaud est, comme des millions de Français, `effondré, effondré pour la gauche, pour la France, pour l'Europe, pour la démocratie´. Lui qui, à 16 ans en 1968, a fait les barricades, n'en revient pas encore du séisme. Sans renier son choix - Noël Mamère -, le chanteur estime faire partie des gens qui ont dispersé leurs votes au premier tour: `Si les sondages avaient marqué plus précisément le danger en montrant Le Pen et Jospin au coude à coude, j'aurais évidemment voté pour faire barrage à l'extrême droite. Tout le monde pensait que Le Pen plafonnerait à 10-12 pc comme d'habitude...´ Pointant du doigt l'abstention, il invoque aussi la malchance, le fait que les vacances scolaires ont tenu beaucoup de gens éloignés de leurs bureaux de vote. Mais une chose est sûre: `Les électeurs de Le Pen, eux, ne s'abstiennent pas, jamais!´ Plus généralement, Renaud voit dans le désintérêt pour la politique le signe de la désillusion: `Les gens ne voient rien changer dans leur vie quotidienne, ils sont perdus, ne croient plus à la gauche ni à toutes ces promesses; ils ont été trop souvent trahis et déçus.´ Des déçus dont il fait partie, et un plébiscite pour Chirac au second tour ne l'amuse pas non plus: `Je laisserai la droite et l'extrême droite se battre entre elles, mais je ne pense pas que j'irai voter pour Chirac. C'est au-dessus de mes forces.´ Sauf s'il y avait un réel danger... Même déçu, il se rejouit des jeunes qui manifestent leur mécontentement dans la rue, eux qui, pour la plupart, ne se sont jamais intéressés à la politique. Sa fille de 20 ans y était, et lui? `C'est plus de mon âge. Je suis bien trop désillusionné pour aller gueuler sous des banderoles

 

Le retour de Gérard Lambin

  Il n'avait pas sorti de disque d'auteur depuis "A la belle de Mai" en 94. Les deux derniers : "Renaud chante Brassens" (96) et "Renaud cante el'nord" (92) étaient plus des hommages filiaux. L'un à la pensée anarchiste et individualiste du bourru moustachu et l'autre à ses racines familiales chtimis.

Cossard? Non pas du tout !

Nous tous qui avions assisté à sa dernière tournée, nous savions l'écorché vif de Montrouge en souffrance. Cette tournée "Un piano, une guitare et Renaud", marathon de près de deux ans (99-2001) et de plus de deux cents dates prenait des allures de psychothérapie. Avec la scène pour divan et des milliers d'oreilles à l'écoute bienveillante dans la salle. A force de le confier chaque soir, c'était devenu en secret de Polichinelle : Dominique, sa gonzesse, ou plutôt sa muse car que de chansons lui auront été dédiées, s'était barrée. L e cœur en lambeaux, la voix pétée de trop de clopes, la chair bouffie de trop de 51 voire de 5100, au bord de l'effondrement éthylique, il reprenait du bout des lèvres ses meilleures chansons. Soutenu avec une indéfectible affection par deux vieux potes musiciens dont Titi, le guitariste Jean Pierre 'Titi' Buccollo ("La mère à Titi").

Chaque soir, il entendait le public tenter de boucher ce gouffre à l'âme en lui criant "On t'aime!!".

Après temps de tendresse et d'émotions dites et partagées, le trou est sans doute un peu comblé. En tout cas, Renaud a retrouvé la force de tenir la plume pour, comme à chaque fois, sublimer sa peine, ses colères, sa gêne et ses contradictions en de magnifiques textes.

Lors du spectacle, il introduisait sa chanson sur le départ de Dominique avec cet aphorisme "Le bonheur se reconnaît au bruit qu'il fait en s'en allant" ….. "et cela fait un boucan d'enfer" ajoutait-il avec cet humour grinçant qu'il peut avoir parfois. C'est le titre de son nouvel album qui sortira normalement le 28 mai prochain.

Une autre chanson, "Elle a vu le loup", entendue en concert et plus drôle, fait partie du disque. Elle raconte une confession de Lolita à son père au sujet de la "première fois" d'une copine. Parmi ses proches, on donne gagnantes deux chansons au potentiel digne d'un "Laisse béton", ou "Mistral gagnant". Ce sont "P'tit pédé" ou la vie d' un homosexuel de province arrivant à Paris, "Docteur Renaud et Mister Renard" en forme d'autocritique (le fameux effet thérapeutique de la tournée?). Une sorte de d'autre "Me jette pas". Et enfin "Entre Manhattan et Kaboul". Devinez sur quel sujet! Un nouveau disque entre intimité, sensibilité aux autres et implication politique. Du Renaud comme avant.

A-t-il retrouvé une forme de bonheur silencieux? Pas sûr. Mais en tout cas, ceux qui l'aiment sont redevenus heureux à l'annonce de cette nouvelle. Merci 

Albi Bop

ARTICLE    TELE 7 Jours

Renaud, sept ans de réflexion

Le spleen ne l’a pas vaincu. Une « grosse fatigue » l’avait conduit à déserter la chanson française. « Mister Renard is back ».

Le Renaud nouveau est arrive. Après sept années passées à bouder, à tourner en rond, le Gavroche de la chanson re-pointe le bout de son insolence. Victoire sur le silence, Boucan d’enfer (Virgin), son nouvel album, sort le 27 mai, comme une résurrection. Son complice de tous les jours, le compositeur-guitariste-arrangeur Jean-Pierre Bucolo, son « Titi » à lui – celui pour qui il écrivit la mère à Titi - a su comment manœuvrer cette forte tête.. et dire que ce petit-fils d’anarcho-syndicaliste, pourfendeur du monde bourgeois, ne voulait plus sortir de sa tanière.

« Mes amis m’appellent Renard »

Même le vent de la révolte ne le faisait plus frissonner. Le blues avait eu raison de sa gouaille, de son inimitable phrasé et de ses bons mots. « Cinq ans sans écrire une ligne », s’excuse-t-il. Histoire de lui faire oublier le spleen, Bucolo, l’ami musicien, réussit à l’entraîner dans une tournée acoustique de 350 dates où 250 000 personnes sont venues redécouvrir une œuvre brute. L’envie est revenue. Et, avec elle, cette inspiration volatile qui lui a soufflé parfois des morceaux d’anthologie comme Laisse Béton, En cloque, I love You Because You Are. En ouverture de son nouvel opus, à la façon de Gainsbourg, il se dédouble, jouant sur les facettes de son personnage : « Docteur Renaud, Mister Renard ». « Renaud ne m’appartient plus. Mes amis m’appellent Renard. C’est un personnage que j’aime bien. Comme Zorro. » Avec certains de ses textes jetés en un quart d’heure sur un paquet de cigarettes, le garçon à la « chetron sauvage » a presque troublé les relations diplomatiques avec le Royaume-Uni à cause de Madame Tatcher. « Il m’est arrivé d’être touché par la grâce. Ma main est guidée par une puissance supérieure. Les mots coulent comme de l’eau. »

Georges Brassens, sa bonne étoile

Cette fois, c’est un pari, au détour d’un bistrot, qui parvient à le faire sortir du tunnel. Boucan d’enfer se trame en dix jours. Les chansons se sont succédé comme par enchantement. « J’ai toujours aimé, dit-il, faire des portraits des petites gens. Je suis touché par leurs problèmes. » Après Dédé, Pierrot, La Teigne, Mon Beauf, le premier de la nouvelle galerie de personnage est Petit pédé. C’est lui qui entraînera la suite joyeuse avec, notamment, Manhattan-Kaboul, en duo avec Axelle Red. C’est à lui qu’il confie, sans ironie, « Seul l’amour guérit de tous les maux ». L’artiste, qui attaque sur tous les fronts, même celui du 7ième art, est parti à Toronto pour jouer dans la Spirale du Crime, une comédie policière. Et rejoindra Gérard Depardieu, Johnny Hallyday et Harvey Keitel sur le tournage de Brad Mirman. Pendant toute cette traversée périlleuse, il n’a pas oublié son maître, Georges Brassens, qui fut toujours sa bonne étoile. « J’ai eu le privilège de le rencontrer. Il m’a dit que mes textes étaient bien construits », se souvient-il. Et il ne peut s’empêcher de l’imaginer, au-dessus de son épaule, relisant sa copie.

Catherine Delmas

Renaud