Lettre ouverte à Renaud

 

 

 

Cher Renaud,

 

C’est marrant, j’aurais pas cru.
D’autant que de base, je suis pas croyant. J’aime pas les dieux, les rois et les idoles. Je vomis le pouvoir. Je hais les ordres et les consignes. Eh oui, j’ai vingt ans aux entournures. Mais j’y aurais pas cru.

 

Pis je suis de cette génération désabusée de base. Pas blasée, ni vaincue, non. Désabusée. C’est un mot rigolo, « désabusé ». Et c’est même plutôt joli. Celui qu’on n’abuse pas. Celui qui est détrompé, éclairé. ‘Tain, si c’était vrai, ce serait beau. J’aimerais bien être éclairé, moi. Et comprendre un peu mieux ce qui se passe. Mais non, je suis juste désabusé, et un peu dépressif. Quand tu avais vingt ans, toi tu avais des rêves. Nous, d’après ce qu’on nous raconte, nos rêves ne sont plus que des utopies. Alors on lutte pour la beauté du geste, pour l’impossibilité du monde fraternel dont on rêve. On lutte comme on crève, sans espoir. Mais bon, finalement c’est pas grave. C’est la vie, il paraît.


Moi, j’ai jamais balancé un pavé. J’ai jamais appelé à tuer du flic. Je crois même n’avoir jamais été
au baston. Mais j’ai pris des coups. Physiquement et symboliquement. Physiquement, je me suis fait virer de squats, j’ai fait des chaînes humaines pour résister le plus longtemps possible. J’ai essuyé des colères, du mépris, et oui, une fois, je me suis fait tabasser plutôt pas mal par des punks en manque – oui, ça n’a rien avoir avec le schmilblick, mais je considère que si tu racontes ta vie, je peux raconter la mienne. Symboliquement parlant, j’ai pris des claques aussi. Trop nombreuses peut-être pour être citées, ou surtout trop insignifiantes finalement, quand je me rends compte que je vomis également les symboles. N’empêche…

 

Y a eu d’abord cette fois où j’ai fait écouter Brassens à mon amante de l’époque, et dont la première réaction a été : « Il est un peu misogyne, quand même. » J’ai protesté, j’ai argumenté, et puis je me suis rendu à l’évidence. Mais c’est pas grave. Faut pas confondre l’homme et l’œuvre, et autre temps autres mœurs, et tout ça. Brassens reste ma plus grande passion, et je lui serrerais volontiers la main, mais bon, je le reconnais, il était un peu misogyne dans certains de ses textes. Voilà. C’est pas grave, mais ça m’a fait chier.

 

Je pourrais te dire aussi que Rictus et ses Soliloques du pauvre m’ont fait chialer ; parce que le type a dit mieux que tout le monde ce qu’était la galère, la mendicité, et pourquoi il n’y avait rien de pire que la charité. Un type qui, vingt ans après, deviendra antisémite et belliciste. Nouvelle claque. C’était un sacré grand écart quand même. Mais bon, c’est pas grave. On se construit avec.

 

 d'après Stéphanie Pouech/DR

Faut que je t’avoue que, quand tu as dit que tu allais sortir un nouveau disque, les copains, ils se sont un petit peu foutu de ta gueule. Moi pas. Quand on est chanteur, on chante. Ça n’a rien d’étonnant. Il y a eu ton premier tube, j’ai écouté puis je me suis dit « Attendons, c’est pas grave, on verra bien ». Chanson méthode Coué pour te motiver, grand bien te fasse. J’aurais pas cru mais bon. C’est pas grave.


Pis ton disque est sorti. Contrairement aux copains qui t’avaient déjà banni de leur discothèque, je l’ai écouté le jour de sa sortie. Je ne ferai pas ici une énième critique de ton CD, d’abord parce que tu t’en fous, et parce qu’au final moi aussi. T’es chanteur, tu chantes, tu fais un album qui me plaît pas, je l’écoute pas, et puis basta. C’est pas bien grave. C’est la vie quoi.
Je vais pas te cracher dessus pour ça. Je m’en fous. J’aurais pas cru que tu ferais ce disque-là, c’est tout. Je pensais que ça s’arrêterait là. Un battage médiatique que j’ignorerais consciencieusement. Deux ou trois prises de parole de ta part qui me feraient râler. Deux ou trois interventions de mes potes contre lesquelles je me battrais, pis une guitare pour chanter
La bande à Lucien ou Son bleu. Mais rien de plus.
J’aurais pas cru à plus.

 

Mais hier j’ai vu que tu répondais à une interview pour le blog de la Préfecture de police de Paris. Et ben j’aurais pas cru. Pas cru que tu puisses oublier que l’ordre public que tu souhaites actuellement, tu l’as jadis fustigé. Pas cru que tu puisses à ce point-là mélanger ce que sont les black-blocs, les casseurs et les terroristes. Pas cru que tu puisses oublier que ce terrorisme, dont on fait les frais actuellement, c’est nous qui l’avons créé. Par ces terres qu’on a colonisées, par cette domination qu’on a imposée. Tu l’as chanté pourtant. Bien sûr y a des cons partout, mais si en plus on alimente leur connerie, alors franchement…


Et pis je t’apprendrai rien en t’expliquant le fonctionnement de la police. J’veux dire, c’est pas les CRS qui font de l’antiterrorisme. Par contre, c’est bien eux qui font de la répression. Qu’ils en aient marre eux aussi, qu’ils veuillent des ordres clairs, qu’ils… ceci, qu’ils… cela, c’est un autre débat. Et effectivement, on pourrait en causer. Mais confonds pas tout. Tu as embrassé un flic, et tu y as perdu ta langue.
Je suis pas contre les flics, je suis contre le pouvoir, je suis contre l’oligarchie, contre le monde qu’on nous impose, et moi je suis trop lâche pour faire quelque chose. D’autres luttent contre les flics qui font le tampon entre le citoyen et l’État.

 

Tu peux dire ce que tu veux, dans ce contexte et dans cette réalité, quand tu donnes une interviouve sur le blog de la Préfecture de police, symboliquement ça m’fout une claque. Tu aurais pu dire la même chose partout. Franchement. Alors pourquoi là-dessus ? Sur ce média-là ?
Je suis pas du genre à dire
« choisis ton camp camarade », je te l’ai dit, je lynche pas les gens. N’empêche que là, ton camp tu l’as choisi tout seul. J’achèterai pas ton disque, je te défendrai pas face aux copains. Tu as changé de public, tant mieux pour toi, tant pis pour moi. C’est la vie c’est pas grave.

Je sais que tu ne répondras pas à cette lettre, tu as des Olympia à remplir, tu as forcément plus raison que moi. Moi, je joue seulement dans le métro à République, sur le quai de la ligne 9. Alors c’est dire le fossé. Mais tu sais ce qui est marrant ? La chanson qui me rapporte le plus de tunes vers sept ou huit heures du matin sur le quai de la 9 à République c’est Hexagone. Et ça tu vois, j’y aurais pas cru.

D’autant que moi, je préfère Peau aime.

 

Benoît H.


Renaud