Les deux bras dans le plâtre...

"Il était une fois… une fratrie de géants. Ils étaient aimés de tous tant ils paraissaient altruistes. Tout le monde approuvait leur objectif affiché : améliorer le bien-être des humains en s’appuyant sur des valeurs de partage, d’échange, voire de gratuité. Grâce à leurs technologies, ils avaient changé le quotidien des hommes, des femmes et des enfants, qui leur en étaient reconnaissants.

Les géants avaient vu le jour aux États-Unis mais le monde était devenu leur maison. Leur projet était pensé pour toute l’humanité, il ne souffrait pas les frontières, géographiques ou sociétales, et il convenait donc d’abolir celles-ci. Cette ambition se heurtait cependant aux règles d’un monde séculaire difficiles à démanteler mais faciles à contourner, pensaient-ils. Telle une tour de Babel du XXIe siècle, les géants devinrent donc polyglottes, communiquant en français à Marseille, en grec dans les Cyclades, en allemand à Stuttgart, en espagnol à Séville… et même en catalan à Barcelone. Car, pour la réussite de leur projet planétaire, les géants ne devaient exclure personne et s’adresser à tous, aux écologistes aussi bien qu’aux climatosceptiques, aux démocrates comme à la fachosphère. Ils faisaient la promotion de tous les sujets… et de tous leurs contraires afin de devenir indispensables à chacun.

Notre vieille Europe doit se réveiller

En moins d’une génération, les services des géants parurent si irremplaçables que l’humanité oublia comment elle avait vécu sans eux jusqu’alors. Mais cette omnipotence avait un coût. C’est ainsi que les géants devinrent riches, très riches, plus riches qu’ils ne l’avaient imaginé eux-mêmes. Leurs services étaient devenus si lucratifs que l’argent était devenu leur principale raison d’être. Convaincus de l’utilité absolue de leur action pour le bien-être de l’humanité, les géants, devenus ogres, refusaient qu’on leur résiste.

C’est là que le conte s’arrête. Car résister aux règles des géants devient aujourd’hui suspect. Et la carte du despotisme commence alors à se dessiner lentement. Or, les règles édictées par les géants ne peuvent pas être au-dessus des lois des États démocratiquement élus.

Notre vieille Europe doit se réveiller car c’est à ce moment précis de l’histoire que le projet des géants, annoncé et survendu comme altruiste et universel, se révèle avoir été pensé pour eux-mêmes. L’Europe les intéresse particulièrement car non seulement ses peuples sont instruits (grâce à des politiques publiques) mais ils ont assez d’argent pour acheter des téléphones, des ordinateurs, des abonnements, des montres connectées… et disposent de temps libre pour les utiliser.

Ces géants ne défendent pas nos  libertés d’agir, de penser ou de créer

Les géants ont besoin des ­Européens pour continuer à grossir. Contrairement à ce qu’ils clament, ils ne défendent pas nos ­libertés d’agir, de penser ou de créer, pour lesquelles nos peuples se sont battus avant qu’ils ne naissent, mais uniquement leurs intérêts, d’abord financiers. S’ils déploient tant d’efforts pour combattre la directive sur le droit d’auteur, annoncée à juste titre par la Commission européenne comme un enjeu majeur, c’est bien qu’ils considèrent qu’elle menace leurs intérêts. Les sommes vertigineuses dépensées par les géants pour manipuler les citoyens européens, dans l’espoir d’influencer notre vote pour vous élire, vous Mesdames et Messieurs les eurodéputés, puis votre vote au Parlement, sont une insulte à notre intelligence, une gifle à votre probité.

Alors nous, écrivains, musiciens, cinéastes, vidéastes, photographes, compositeurs, journalistes, danseurs, comédiens, éditeurs, producteurs, vous interpellons. Lorsque nous défendons le droit d’auteur, nous ne défendons pas seulement nos intérêts matériels et moraux, mais une certaine idée du partage culturel. Nous défendons le droit de l’imaginaire, le droit d’inventer une autre fin au conte. Nous défendons le droit d’écrire notre histoire et non de vivre celle que les géants ont décidée pour nous, nous défendons l’intérêt ­général et pas seulement des intérêts privés car nous ne défendons rien d’autre que notre bien commun le plus précieux, une certaine idée de la démocratie.

En votant la directive sur le droit d’auteur, vous direz au monde non seulement que l’Europe sait ­défendre les intérêts de ses peuples mieux que ces géants qui prétendent le faire à leur place, mais aussi qu’elle reste fidèle à ses ­valeurs, à cette démocratie inventée sur son continent il y a 2.500 ans et qui continue de guider l’humanité.

Mesdames et Messieurs les eurodéputés, l’Europe et le monde vous regardent." 

* Les 171 signataires :

dont....

 

Renaud