De 92  à  1996, Renaud a tenu dans "Charlie Hebdo" une  série de chroniques  que l'on retrouve en livre sous le titre de "Envoyé spécial chez moi "

 

J'ai essayé de regrouper  les textes qui ont un rapport - direct ou lointain   - avec le Sud ( de Monaco à Biarritz !)

Bien sûr, cette liste est suggestive et ne se veut pas exhaustive !

Bonne lecture à toutes et tous ! SVPat

* Merci au HLM des Fans

16 décembre 1992*****Au Nord, c'était les corons.... Au Sud, c'est Télé Monte-Carlo

Les habitants du Nord-Pas-de-Calais, que nous appellerons les " Chtimis ", puisque c'est comme ça qu'ils veulent, sont des gens particulièrement sympathiques, surtout les filles mais les garçons aussi. Les habitants du Pas-de-Calais tout court vivent au Nord et, réciproquement, les habitants du Nord vivent au Pas-de-course à cause de la pluie. C'est énervant, mais c'est comme ça. Selon la légende, il pleuvrait tout le temps dans le Nord, or, moi, qui vis là-bas depuis les pluies d'août, je trouve que cette année la mousson est tout à fait supportable. D'ailleurs, Pierre Bachelet, qui est né là-bas, y retourne aussitôt qu'il peut avec le plus grand plaisir et un parapluie assez grand aussi. C'est à lui que nous devons cette chanson désormais très connue, les Corons, qui commence par ce vers un peu cruel: " Au Nord, c'était laid... Courons ! "

 

Pierre Bachelet est une des spécialités les plus connues du Nord-Pas-de-Calais, du moins comme chanteur. Sinon, il y a aussi Isabelle Aubret, qui ne passe pas trop souvent sur NRJ, mais c'est parce qu'elle est communiste, et Alan Stivell, mais là je suis pas sûr. Au niveau des compositeurs, nous avons François de Roubaix, qui était de Lille, et Georges Delerue, qui était de Roubaix, mais ils sont morts, c'est pour ça que je dis " était ".

Pour les spécialités culinaires, c'est une région qui est encore très marquée par la guerre, donc, par pudeur, nous n'en parlerons pas. A moins que vous n'insistiez, alors je vous dirai que la " tarte au sucre " fallait pas être la moitié d'un con pour l'inventer, en tout cas pas plus con que l'inventeur du sandwich au pain.

L'industrie la plus rentable du Nord fut, de tout temps, I'industrie minière, particulièrement les mines , d'or. Même s'ils n'ont jamais trouvé la moindre paillette, ils ont quand même creusé de grands trous dans la terre noire et ce, pendant deux siècles, car le nordiste est têtu mais courageux. La production de trous prospéra jusqu'à la fin des années 70, époque à laquelle on réalisa que le nucléaire faisait des trous beaucoup plus jolis.

Pour ce qui est des paysages, on peut dire sans s'avancer que le Nord-Pas-de-Calais c'est un pays qui ressemble à la Louisiane, à l'Italie, on dirait le Sud, à part pour la végétation, le climat et le relief et les Polonais, qui sont quand même mieux intégrés au Ch'Nord que les Irakiens aux Skuds par exemple.

Pour conclure, nous dirons que les gens du Nord ont dans les yeux le bleu qui manque à leur décor, alors que les gens du Lubéron ont le rosé.

Quant à Valenciennes, où je vis, et qui est franchement dans le Nord, c'est une ville très jolie, avec des restaurants, des maisons, et une rue piétonne avec un magasin Chevignon.


23 décembre 1992*****Au Sud, c'était les melons... Dans le Parc naturel du Lubéron, on protège les derniers socialistes

La semaine dernière, je vous ai parlé du Nord Pas-de-Calais, aujourd'hui, je vais vous parler du Vaucluse-Pas-de-Calais-non-plus.

Le Vaucluse est un grand département, assez grand mais pas trop quand même, disons grand comme ma bite mais beaucoup plus ensoleillé, car le Vaucluse n'a pas de caleçon autour. Le Vaucluse n'a rien autour, à part peut-être l'Ardèche et les Bouches-du-Rhône, ce qui prête peu à conséquence. Alors que l'Ardèche est essentiellement peuplée d'instituteurs hollandais en vacances et de Hugues Aufray, le Vaucluse est peuplé de ministres socialistes, ce qui est quand même plus classe, sauf autour d'un feu de camp où il vaut mieux avoir Hugues Aufray que Laurent Fabius, surtout si on chante Debout les gars réveillez-vous ! Autrefois, les ministres avaient des maisons sur la Côte d'Azur, mais c'est parce qu'ils étaient de droite. Aujourd'hui, nos ministres de gauche, qui aiment beaucoup les pauvres, évitent cette région car elle en est pleine, on veut bien les sauver, pas les côtoyer. C'est donc dans le Vaucluse et, plus précisément, dans le Lubéron, que nos dirigeants se cachent de leurs dérisoires électeurs, à l'ombre des cyprès que Van Gogh peignât, des micocouliers que Michèle Torr chantait et des oliviers que Léonard coupa quand Léonard devint scie.

Le Lubéron est la plaie du Vaucluse.

Vu par KEIFLIN Roger

Une protubérance montagneuse pour cadres moyens plantée comme une ignoble métastase sociale-démocrate au cœur de ce département historiquement rouge. Alors que Saint-Rémy-de-Provence, par exemple, a son musée Van Gogh, pour bien prouver son mauvais goût à la face rougeaude des ridicules estivants, le Lubéron a son musée Vasarely. Quand on sait que même Georges Marchais y possède une résidence secondaire, on ne s'étonne plus de la chute du mur de Berlin ni de la déliquescence dans laquelle se vautre aujourd'hui la classe ouvrière. Le Lubéron est au Vaucluse ce que la myopathie est au sauteur à la perche: un handicap.

Mais le Vaucluse est assez grand (comme ma bite) pour vivre avec son Lubéron-congg. Au point que, en mille-ch'ais-pas-combien, lorsque le Vatican décida d'exporter sa peste mauve et or, c'est à Avignon, et pas à Henin-Liétard, que le pape Urbain V s'installa. Depuis lors, le Vaucluse est resté un département à forte tradition protestante. A Avignon, le pape se fit construire un palais sublime qu'il appela palais du Pape, mais, comme un jour il mourat, un nouveau pape fut appelé araignée et le blockhaus fut rebaptisé palais DES Papes. Chaque année, en juillet, dans la cour d'honneur de ce bunker, une troupe de théâtre subventionnée par la MJC de Nancy vient massacrer Shakespeare sous la direction d'un metteur en scène japonais homosexuel, la critique se pâme, le public a froid car l'adaptation dure six heures, Jack Lang pavoise et Jean Vilar meurt une deuxième fois. C'est le fameux Festival d'Avignon, mondialement connu des lecteurs du Guide du routard et de Libération.

A part Avignon, dans le Vaucluse, nous avons aussi Cavaillon, Carpentras et Apt, villes charmantes dont les spécialités sont respectivement: les melons, les berlingots et je sais pas.

 

Mais le joyau du Vaucluse est, sans conteste, l'Isle sur-la-Sorgue, la " Venise Comtadine ", très con pour son René Char et aussi un peu pour Renaud. René Char, pour les ignorants, fut un grand poète, tout à fait imbitable de son vivant mais apprécié aujourd'hui. Quant à moi, j'ai une maison  là-bas, assez éloignée du centre-ville où le tout Lubéron aime à venir déambuler, aux devantures antiquaires milliardaires et du magasin Chevignon quand le soir tombe sur les platanes et que c'est b. à se chier dessus.


30 décembre 1992***** L' île à la tête de Maure ... qui nous a donné Napoléon, Tino Rossi et Charles Pasqua
Géographiquement à l'opposé du Nord-Pas-de-Calais se trouve la Corse-encore-moins-Calais. La Corse est une île en forme de gant de toilette avec une espèce de doigt en haut à gauche, un petit peu dans le cul de la France, mais pas trop. Si sa forme est somme toute assez grotesque, la Corse a un fond gentil. D'ailleurs, ne dit-on pas a gentil comme un Corse " ? Non ? Ah, bon...

La Corse est peuplée d'individus pas franchement antipathiques mais un peu italiens quand même. Sauf que si l'Italien moyen est plutôt séducteur malgré sa petite bite, le Corse moyen est plutôt timide et réservé malgré son grand couteau. Quand on arrive en Corse et que l'on veut expliquer d'où l'on vient, on a souvent tendance à dire: " de France ". C'est très maladroit. Le Corse moyen vous répond invariablement: " Ah ! vous venez du continent... " Car on oublie parfois que la Corse est française. Elle l'est depuis que l'Italie nous l'a vendue, il y a au moins plusieurs siècles, très cher, on s'est fait avoir, mais bon... Aussi, quand on quitte la Corse, on fait bien attention cette fois, et on dit: " Bon, ben, merci pour tout, je retourne sur le continent... ". Le Corse moyen vous répond alors: " C'est ça, casse-toi... "

Comme Corses célèbres, nous avons à peu près Napoléon, qui est mort à Sainte-Hélène, son fils Léon, qui lui a crevé l'bidon, et Tino Rossi. Sinon, j'ai Sinon, j'ai beau chercher, même chez les coureurs cyclistes, je vois pas. Peut-être Alan Stivell, mais je le jurerais pas. Les principales villes de Corse sont: Ajaccio, Porto-Vecchio et Propriano. I1 y a aussi Calvi, qui est très jolo, avec sa garnison de légionnaires qui sentent bon le reblochon et son bistrot " Chez Tao " immortalisé par Jacques Higelin dans une chanson très belle - Jacquot, si tu lis ces lignes, je te souhaite une bonne année, mon poto. Toutes ces villes sont situées au bord de l'eau, car, en Corse, tout est au bord de l'eau. Les plages, les rivières, les digues, les ports, mais aussi les campings, les hôtels, les maisons Phénix-Merlin-Bouygues, les Canadair et les Casanis. Dès qu'un Corse s'éloigne de l'eau, il devient berger-incendiaire ou pompier pyromane. Les mauvaises langues affirment même que la Corse n'est pas une - île, mais un incendie entouré d'eau. C'est largement exagéré. La Corse, de ce côté-là, n'a rien à envier à la Provence ou à la Côte d'Azur, par exemple. D'ailleurs,si Jacques Dutronc a choisi la Corse pour résidence secondaire ce n'est pas pour rien, quand on sait le paquet de cons qui ont choisi la Côte. Pour ce qui est des spécialités culinaires corses, eh bien ! nous avons la polenta à la farine de châtaigne, sur laquelle nous ne nous attarderons pas, et la pizza " quatre saisons ", qui marche très bien l'été. Pour les vins, nous vous conseillons la " Cuveta di u patronu " en pichet, dont certains amateurs prétendent qu'elle pourrait être faite avec du raisin.

Toute médaille ayant son revers, comme le disait si bien le docteur Garretta le jour où il recevait sa Légion d'honneur, la Corse est frappée de deux plaies qui nuisent sensiblement à sa réputation: le terrorisme et le banditisme. Gardons-nous de confondre le premier avec le second: le terroriste assassine un gendarme de-ci de-là ou dynamite un lotissement car il veut préserver l'identité de son pays. Le bandit assassine un gendarme ou dynamite une boîte de nuit car il veut préserver l'identité de sa sœur. La différence est énorme, sauf, peut-être, pour les petits Bretons orphelins dont le papa venait tout juste d'être muté à la gendarmerie du bord de l'eau, près de Bastia..


13 janvier 1993 *****Le Basque est-il musulman ? .... Sous la pelote, la main

Le Pays basque est un pays à peu près tout petit mais coupé en deux par les Pyrénées. Dans le nord vivent les Basques du Nord, dans le sud vous avez deviné. Plus généralement, nous appelons les Basques du Nord des " Français ", et ceux du Sud des " espingouins ". Et quand je dis " nous ", je me comprends, c'est de " vous " que je parle. Mais après tout, me direz-nous, z'avaient qu'à pas se fabriquer un pays à cheval sur deux autres. Nous avez raison. Au départ, en mille ch'ais pas combien, le Pays basque était un vrai pays avec tout ça qu'y faut, des frontières, une armée, un drapeau, une langue, des autoécoles et tout et tout. Puis la France et l'Espagne, dans un souci de rapprochement tout à fait compréhensible, et énervées par ce petit pays minusculaire qui se permettait de faire payer des droits de passage pour accéder aux stations de sports d'hiver pyrénéennes, décidèrent de l'annexer, fifty-fifty, tu prends le Nord, yo prendo el Sud.

Depuis, donc, nous avons deux régions qui veulent redevenir un pays à part entière et c'est assez chiant car, à l'heure où l'Europe abolit ses frontières, elle va pas s'emmerder à en créer de nouvelles pour faire plaisir à un tout petit peuple de rien du tout. Et quand je dis " peuple ", je suis très généreux. Car finalement, qu'est-ce qui différencie un Basque (du Nord) d'un Béarnais ? Et un Basque (du Sud) d'un Catalan ? Deux trois traditions folkloriques, un dialecte bizarre avec plein de X et de TCH, et un sentiment d'appartenance à un peuple différent, héritier d'une culture différente. Cela suffit-il pour redessiner l'atlas ?

Si encore le Basque était musulman comme le Bosniaque en Serbie ou arménien comme le Croate au Kosovo...

Cela mis à part, il est vrai que le Basque possède une culture bien à lui. Prenons les bergers, par exemple. Au Pays basque, ils sont perchés sur des échasses. Quand un berger normal fait pipi contre le mur de la grange, le berger basque pisse sur le toit dans la cheminée. La tradition du bergeage sur échasses remonte à des temps tellement immémoriaux qu'aujourd'hui plus personne ne sait les raisons qui poussèrent les premiers bergers à ainsi s'échasser. On prétend qu'autrefois, au lieu de garder les moutons, les bergers basques gardaient les ours. L'ours est un redoutable bouffeur de couilles de berger. D'où, peut-être, l'obligation de se percher pour le mener paître. Aujourd'hui, c'est l'ours qui s'est fait couper les couilles par la politique autoroutière franco-espagnole, mais la tradition continue. Une autre spécialité basque est la " pelote ". La fameuse " pelote basque ", qui est un peu au tennis ce que l'onanisme est à l'orgasme: on ne joue qu'avec la main et on gagne à tous les coups. Car en pelote basque le joueur n'a pas d'adversaire. I1 joue tout seul contre un mur à la con. I1 peut donc tricher tout son soûl, le mur reste de brique. La pelote basque fut inventée par un carabinier espagnol, Ramuntcho Pelotas, avec qui personne au pays ne voulait jouer à la baballe. " On youe pas aveco les jachachins ! " lui répondaient systématiquement ses petits camarades de 1'ETA. Comme, de toute façon, il n'avait pas de raquette, il s'en alla, dépité, lancer sa baballe contre le mur d'une grange, elle lui revint dans la tronche, pleine de pisse de berger, le jeu était né. Aujourd'hui encore, la pelote basque se pratique à la main, mais aussi avec une " chistera ", petit panier d'osier cintré comme une banane mais moins bon. D'ailleurs, en anglais, " panier " se dit " basquette ", je l'ai pas inventé, ces gens-là nous ont tout piqué.

Enfin, nous voilà avec le " béret basque ", très apprécié des touristes japonais qui visitent la butte Montmartre. Le béret basque n'est pourtant jamais qu'un étui à Frisbee légèrement prétentieux

Comme villes, au Pays basque nous avons Bayonne, Biarritz et Saint-Jean-Pied-de-Port, dont les spécialités sont, respectivement: le jambon, les surfeurs hawaiiens, et les réfugiés basques menacés d'expulsion. Le jambon de Bayonne est très bon (à part peut-être pour le Basque musulman), le surfeur hawaiien n'est pas mauvais non plus, quoiqu'on puisse lui préférer son homologue féminin sensiblement plus bandante dans sa combinaison fluo, quant au réfugié, très joli également, il attend dans la clandestinité que les flics socialistes le livrent à la police espagnole qui torture joliment aussi.


21 avril 1993***** Los Angeles sur Sorgue... le pays où les moulinets sont en vente libre!
Quelle chouette vie que celle de reporter pour Charlie Hebdo ! Cette semaine, je me suis envoyé en mission spéciale dans le Vaucluse pour quinze jours de vacances. Ça, c'est du reportage ! Et pas du plus fastoche. Mine de rien, je prends des risques inouïs. Mais je suis prêt à affronter tous les dangers pour accomplir ma mission au service de la presse libre à 10 francs.

D'abord, la commune qui abrite mon cabanon secondaire vote Front national à 25 %. Je me console en me disant que je cohabite avec pas loin de 75 % de démocrates, ce qui n'est pas mal dans l'Europe d'aujourd'hui. Mais j'ai du mal à m'empêcher de penser que, si tous ces cons de fafs arrivaient à virer les immigrés du département, ils auraient des problèmes d'embauche pour les vendanges, la cueillette des fruits des melons ou des lavandes. A moins de déclarer et dé payer décemment les p'tits Francaouis qui, de toute façon, n'auraient pas envie d'y aller. Outre cette triste réalité électorale, qui n'est, Dieu me tripote, pas exclusive à l'Isle-sur-la-Sorgue, le pays est agréable et j'y suis à peu près peinard. A peu près... Le premier jour, un quidam est venu à l'aube sonner à ma porte " pour me voir ". Y m'a pas vu, je dormais. Le deuxième jour il escaladait le portail et s'installait sur le paillasson. Le troisième jour, il forçait la porte, bousculait ma fille, pendant que mon chien lui léchait le museau  Bravo, Toto. Il a fini par se casser en me laissant une lettre m'expliquant que le Saint-Esprit l'avait visité et lui avait annoncé que j'étais le Christ. Eh ! ouais, mon pote ! Je l'ai pas inventé. Le type était belge, mais je crois que ça n'a rien à voir...

                                                      

Le lendemain, c'était Pâques, j'ai posé ma couronne d'épines sur le frigo et je suis allé en ville acheter un moulinet chez " L'asticot ", qui tient un magasin pour les gros cons de chasseurs et les gentils pêcheurs. Pendant que je choisissais l'engin, un jeune beur est venu demander ce qu'ils avaient comme revolver. Ça fait drôle. Pendant quelques secondes tu te demandes ce qu'un môme de dix-huit berges peut bien avoir besoin d'un calibre. Pis quand t'as deviné t'es content que la patronne lui réponde que c'est pas en vente libre, qu'il faut une autorisation du commissariat. " Les gens disent que y'a du racisme, a dit le patron, y z'ont qu'à venir ici, on verra si y z'y sont pas, racistes ! " (Le patron ne s'exprime pas dans un français extrêmement joli, mais c'est parce qu'il est immigré aussi, il est de Tours... Il ne connaît quasiment pas le verbe " être ". J'avais venu, j'ai certain, etc.) Il a continué: " Tous les jours, j'ai des Arabes qui veulent m'acheter des flingues ou des "grands d'arrêt". Moi j'y'eur vends pas... " " Ah ! bon, moi j'ai dit, aux autres t'en vends ? " I1 m'a répondu que les autres y z'en avaient déjà, que, " de toute façon, une arme à feu ça coûte "accessoirement cher" ", et que du coup " les beurs peuvent pas en acheter ". Cinq minutes après, c'est un petit môme de dix ans, pas du tout arabe, qui voulait savoir combien ça coûtait un revolver. C'était pour faire un cadeau à son papa. Alors moi je lui ai demandé ce qu'il voulait en faire, de son revolver, son papa. Il m'a dit que son papa il était policier, que c'est pour ça qu'il aimait bien les revolvers. " Mais il en a déjà un, de revolver, s'il est dans la police... " j'ai dit. " Oui, mais il en veut un pour dans la vie ! " a conclu le môme.

Quand je vous dis que mon reportage dans le Vaucluse n'était pas sans danger... C'est quand même un endroit où les Arabes rêvent d'avoir un flingue et les flics d'en avoir deux.

Du coup, le moulinet, je l'ai pas acheté. Moi aussi j'en avais déjà un, l'autre je le voulais juste pour dans la vie


le 28 juillet 1993*****Mon talon d'Achille ( extraits) ... Le "Titanic" a coulé dans ma fesse

Qui a dit : « Tu périras par où tu as pêché ! » ou quelque chose comme ça ? Des fois, je me demande si le mec parlait pas de pêche à la ligne. Parce que je pêche comme un pied, et c'est toujours là que je me fais mal.

( .....)

Après, j'ai plus rien eu pendant plus de vingt ans. Y a deux ans, je me suis explosé le pied pendant un match de foot où j'étais spectateur, mais j'étais tellement bourré que je me souviens même pas comment ça m'est arrivé.

C'était au Stade Vélodrome, pendant le match O.M. - Spartak de Moscou. J'avais planqué une demi-douzaine de pastis dans mon zomblou, dans la manche, là où normalement y a les muscles du bras, quand les mecs de la sécu ont voulu me fouiller J'ai levé les bras, ils y ont vu que du feu, d'autant qu'ils m'ont pas fouillé parce qu'ils m'ont reconnu : « Té ! Rônnaud, cong ! Ça fait plaisireu, putaing ! Allez, passeu, cong ! » Le problème, c'est que j'avais pas de flotte et pas de verre. Alors pendant la première mi-temps je me suis tombé les 33 centilitres purs, au goulot. J'ai pas vu la deuxième mi-temps, je me suis réveillé dans un bistrot du Vieux-Port à quatre du mat ' et j'ai demandé à mes potes qui avait gagné. Et j'avais très mal à le pied. J'ai boité quinze jours. Avec le recul, je crois que c'est des supporters qui m'ont marché dessus. Ou Bernard Tapie, je sais pas.

Cette année, comme je vous racontais récemment, je me suis encore fracassé l'orteil au foot, mais, ce coup-ci, en jouant.

Ça commençait juste à aller mieux quand, navigant sur une frêle embarcation au fil de la plus belle rivière de France et du monde, la Sorgue, j'ai tombé, et j'ai faillit mourir. J'étais pieds nus, ce qui n'est pas malin, et, en franchissant les chutes vertigineuses du lieu-dit « Le Partage des Eaux », ma barque, lancée à pleine vitesse, a percuté un obstacle (branche, pierre, poisson), s'est immobilisée et moi j'ai chu. Les doigts de pied en éventail, j'ai atterri sur un tesson de bouteille qui se trouvait au fond de l'eau par le plus grand des hasards, à moins que ce ne soit par la volonté pollutionniste d'un enculé de connard. Quand je suis remonté sur mon esquif, mon pied était ouvert de là jusqu'à là. Comme je suis très courageux, j'ai fait comme si j'avais même pas mal, j'ai amarré ma barcasse, ai rejoint la berge, et là, un pote m'a conduit en 4L jusqu'à l'hôpital de Cavaillon. Aux urgence, y avait une crise cardiaque et un accident de voiture avant moi. Pendant que je poireautais, on m'a demandé si je souffrais beaucoup, j'ai dit oui, surtout pour mes clopes qu sont tombées à l'eau avec moi.. C'est un médecin malgache qui m'a recousu. Vachement bien ! Sans anesthésie ! Enfin si, une toute petite, locale, piqûre, mais j'ai même pas pleuré. Il m'avait donné un bout de bois à serrer très fort entre mes dents, et puis une bouteille de whisky, et à la fin il m'a assommé d'un coup de poing quand j'ai eu trop mal. Mais non, je déconne !

Bon, j'ai huit points de suture, je boite, je peux plus me baquer, plus jouer au foot, et j'ai encore eu droit au sérum anti-Titanic (dans la fesse) et l'infirmière en a même profité pour me faire le vaccin ! Au bras, comme en Bosnie.

Dans mon horoscope, cette semaine, ils me disent de faire attention à ma gorge et à mes cordes vocales. Je vais peut-être me mettre une grosse chaussure autour du cou, tiens !


le 4 août 1993***** Je chante le Nord... et je bronze au Sud !

Apprenant les mésaventures survenues à mon pied préféré, mon Philippe Val de rédacteur en chef, tel un Bernard Kouchner de la presse libre à 10 F, a bondi dans le premier T.G.V. venu direction Avignon, afin de venir consoler dans son indicible souffrance.

« L'âme de son enfant livrée aux répugnances* ». après avoir parcouru la moitié du département avant de trouver le petit chemin caché qui mène à mes quelques arpents de droits d'auteur, l'ami s'est installé à l'ombre d'un micocoulier, a empoigné ma guitare aux vieilles cordes rouillées par des siècles d'inactivité, et m'a chanté Brassens, Trenet et Paolo Conte. Au bout de trois accords, j'avais plus mal à le pied. « Puisque te voilà guéri, allons boire l'apéro chez Wolinski », me dit-il ensuite. « Il est pas loin d'ici ».

 A quatre pas de ma maison, effectivement, sur les flancs du Lubéron, notre confrère se reposait d'une harassante année de Charlie Hebdo, année durant laquelle, sous les ordres d'un rédacteur en chef aussi intransigeant que talentueux, lui comme moi avons travaillé avec ardeur et souffert avec dignité. Georges infusait tranquillement dans son jardin en nous attendant. Il nous accueillit chaleureusement, nous présenta sa femme et sa piscine, beaucoup plus grande et plus profonde que la mienne, je parle bien évidemment de la piscine, bande de crétins. Nous bûmes ensemble le pastis de l'amitié, pastis « Panis », une marque bizarre, inconnue de moi, pas dégueu quand même, bien qu'exhalant des arômes infiniment moins subtils et délicats que ceux du « Berger » qui est à l'anisette ce que les « Barilla » sont aux pâtes, je dis ça un peu parce que je suis pote avec le fabricant qui a son usine à l'Isle-sur-Sorgue.

Puis, le soir venant, nous prîmes congé, regagnâmes notre automobile direction Avignon, non sans avoir auparavant salué la fille aînée de Wolinski au bord de la piscine, laquelle avait l'air très bonne, je parle encore de la piscine. Val avait prévu de rencontrer dans la cité des Papes une bande de jeunes qui occupaient leur mois de juillet à vendre Charlie Hebdo aux festivaliers, mission ô combien sympathique quoique peu rémunératrice, et qu'il convenait d'aller saluer et encourager. Les jeunes furent visiblement ravis de nous voir, en chair et en os, et nous fûmes ravis aussi. Nous bûmes ensemble le pastis de l'amitié, pas terrible, je parierais pour du « Granier » fabriqué à Cavaillon, pour ainsi dire du pastis étranger. Après nous être éclipsés, Philippe et moi, pour un frugal et délicieux dîner d'affaires, au cours duquel il envisagea d'augmenter de 30 % le salaire des chroniqueurs de Charlie, nous nous retrouvâmes tous place de l'Horloge afin de consolider l'amitié autour de quelques bières de marques incertaines.

Place de l'Horloge, qui sera l'objet de ma chronique de la semaine prochaine. Car pour vous décrire la faune et la flore poussant le soir dans cet incomparable sanctuaire pour Homo sapiens approximatifs, deux colonnes ne seront point de trop. Je tâcherai pour cela d'éviter le passé simple (dont j'abuse aujourd'hui�huit) pour employer plutôt un futur hasardeux, bien plus de circonstance.

* Faites pas gaffe, c'est du Rimbaud. »


le 25 janvier 1995 *****Ici Monaco, les Français parlent aux français ! Jean Moulin, président de la société des bains de mer !!!

Bon, moi, j'm 'en fous, si c'est Balladur je demande l'asile politique à la Suisse. Ou à Monaco. Tiens, Monaco, voilà une idée qu'elle est bonne. J'ai justement un pote comédien qui est au mieux avec la princesse Caroline (je vous dis pas qui, il me ferait un procès). Lui et moi on avait fait connaissance à Beyrouth lors d'une télé qu'on avait faite ensemble là-bas. Pendant tout le séjour il m'avait parlé de sa copine Caroline puis, dans l'avion du retour, après qu'il fut tombé sous mon charme vénéneux, il m'avait invité à passer les voir, elle et lui, dans leur maison de Saint-Rémy-de-Provence.

Quelques semaines plus tard, je m'y était rendu donc, avec femme et enfant et copains et Toto mon chien. Après les présentations d'usage, j'ai murmuré à l'oreille de ma gonzesse : « Dis donc sa copine Caroline, on la connaît, non ? C'est pas une ancienne comédienne ? » Ma femme m'a dit que j'étais fou, que bien sûr qu'on la connaissait, que c'était la princesse Caroline de Monaco, la Vraie ! Comment je pouvais savoir, moi ? Mon pote m'avait jamais parlé du métier de sa copine, n'avait pas non plus prononcé son nom de famille, persuadé peut-être que j'étais un lecteur assidu de Voici et Paris Match, et que, « comme tout le monde », j'étais au courant. Je lui ai dit que je n'étais pas comme tout le monde et que je m'excuse mais si une copine me parle de son fiancé qui s'appelle Jacques, je vais pas forcément en déduire qu'elle est maquée avec Chirac, Gaillot ou Anquetil.

N'empêche que j'étais un peu emmerdé? J'avais dit bonjour comme à une fille normale, pas « Princesse », je m'étais pas incliné, j'avais pas dit « Altesse ». Après, heureusement, je me suis rendu compte que c'était, effectivement, une fille normale, même vach'ment plus normale que plein de filles pas princesses que j'ai l'occasion de rencontrer de-ci de-là.

Une autre fois, j'y suis retourné, c'était l'hiver, y faisait un froid de chien comme souvent en hiver, et j'avis mis mon keffieh pour avoir chaud au cou et manifester par la même occasion mon attachement au prêt-à-porter palestinien. En arrivant devant leur porte, je me suis enroulé le keffieh autour de la tête, ai chaussé mes lunettes noires et j'ai frappé à la porte de la cuisine. « Entrez ! » me fut-il répondu. J'entrai et, persuadé de tomber sur mon pote, les lunettes embuées, je dis à la silhouette qui me faisait face « Allah akbar ! ». Après je me suis encore excusé parce que le type devant moi c'était le prince Albert et on parle pas comme ça à un prince. Ce jour-là on a fait une partie de Trivial Poursuit et, c'est pas pour dénigrer la monarchie, mais, même en trichant très très peu, c'est moi qui ai gagné. Le prince n'a même pas été fâché, ne m'a pas chassé de son royaume ni jeté aux lions, mon pote, en revanche a boudé un peu, pendant quoi ? Six mois ? Faut dire qu'il aime pas perdre, surtout en trichant pas mal?

Pourquoi je vous raconte ça ?  Ah ouais ! Le 9 mai au matin, donc, excusez-moi mais je me casse ! Hop ! Monaco ! J'me loue une chambre de bonne avec vue sur la Promenade des Anglais (j'ai de bons yeux !) je m'achète un vélo si on a le droit, j'embarque bien sûr ma femme et ma môme (si on a le droit aussi), le chat et le chien (je crois que ça, on n'a pas le droit) et je refais ma vie. Comme je serai exilé politique et au chôm'du, mon pote s'arrangera avec sa belle-famille pour me trouver un petit boulot, genre Président-Directeur-Général de Radio Monte-Carlo, et de là je lance un appel à la résistance. Et je programme que mes chansons et celles de Font et Val, mais moins souvent quand même. Et dès que la gauche revient, je reviens aussi. Mais attention, pas la gauche à la con comme on a eu depuis quatorze ans, la « vraie gauche », avec le béret du Che et la moustache de Staline, heu, je voulais dire de Léon Blum. Pis comme j'arriverai un peu en libérateur, vous m'offrirez directos la présidence de la République. Ou, au moins, celle de TF1. Ce qui revient un peu au même.

Allez, faites pas la gueule, c'était pour rire? Je vous abandonnerai pas dans l'adversité et le pasquanisme. Je veux rater ça pour rien au monde. Ces enfoirés vont tellement être ignobles, sécuritaires, expulsifs, réacs, cathos, censeurs, profiteurs, magouilleurs, qu'en moins de sept ans ils vont nous engendrer une génération de rebelles comme on n'aura pas vu depuis 68. Avec les banlieues qui seront de la partie, ce coup-ci ça risque de faire un joli feu d'artifice !

Même à Monaco y z'en auront jamais des comme ça?


le 28 juin 1995***** Orange amère ...Renaud ne boycottera pas les nouilles, même brunes !!

Pas la peine de m'écrire pour m'engueuler si vous êtes pas d'accord, ma femme s'en est déjà chargée. « Toi, t'irais chanter à Orange juste pour faire le contraire de Bruel ! » m'a-t-elle dit hier lorsque le nouveau débat à la mode qui anime le landerneau show-biztique  « Faut-il boycotter les villes F.N. ? » est arrivé jusqu'à ma salle à manger à l'heure des nouilles. « Pas du tout » ai-je répondu, « moi, j'irai chanter contre le F.N., là où le F.N. triomphe. Si c'est pas dans le cadre d'un festival subventionné par la municipalité, je vois pas en quoi je la cautionne. Lorsque je chante des villes notoirement de droite (et demain d'extrême droite), je rassemble un public plus farouchement de gauche que partout ailleurs, je vais quand même pas me priver d'eux ! (j'écris pas « je vais quand même les pénaliser eux », c'est prétentieux?) Les abandonner dans leur quotidien pas terrible, dans une ville sinistrée politiquement mais aussi bientôt culturellement, parce que les artistes « de gôche » la désertent? Quand tu te veux un tant soit peu humaniste, tu vas là où l'humanisme est en danger, point final ! Et puis merde ! Faut pas déconner, y a des artistes qui décident, pour marquer le coup, de boycotter Orange ou Toulon parce que leurs prestations sont des activités culturelles musicales APOLITIQUES qui, immanquablement, donnent du crédit, cautionne la politique culturelle de la ville.

Moi, ça m'étonnerait que la municipalité d'Orange (et les journalistes locaux qui rendront compte de ma prestation) considère un de mes concerts dans cette ville autrement que comme une manifestation de résistance à ses élus et à leurs valeurs ! » Ma femme m'a dit que, d'abord, on disait pas « merde » à table, et puis que, quand même, mes concerts, c'étaient pas des meetings ! « Font et Val non pas de meetings », j'ai répondu, « N'empêche qu'ils iront aussi foutre la zone dans les villes F.N., parce que c'est là qu'il faut lutter, est-ce que je peux reprendre des nouilles ? » Alors elle m'a dit que oui je pouvais, mais que n'empêche, le boycott culturel (entre autres) de l'Afrique du Sud pour lutter contre l'apartheid, ça avait porté ses fruits, que ni Val ni moi n'avons eu l'idée d'aller chanter là-bas, même par solidarité avec les victimes de ce régime, laisses-en quand même un peu à Lolita. Après j'ai plus rien dit parce que ce n'est pas poli de parler la bouche pleine, mais j'ai un peu réfléchi : la décision de boycotter Orange, bon, d 'accord, c'est avant tout symbolique. Parce que la mairie est officiellement Front national. O.K. Mais les boycotteurs savent-ils qu'il y a dix fois plus d'électeurs F.N. à Marseille qu'à Orange ? Ça les dérange pas de chanter à Marseille ? Nice où la mairie est « divers droite » avec un maire F.N. pur jus mais qui s'est débarrassé de l'encombrante étiquette, ça les dérange pas non plus ? Et en extrapolant un peu, les artistes qui font une carrière internationale, ça les trouble pas de se produire en France, pays d'Europe où l' Extrême droite est la plus puissante ? J'ai dit tout ça à ma femme. « Voilà, la décision de Bruel est cohérente et défendable, sauf que si on poussait sa logique à l' Extrême, c'est la France qu'il faudrait boycotter. »

Alors ma femme m'a dit que les artistes, quand ils se baladent en tournée à travers la France, s'ils ont la possibilité de marquer leur colère ou leur désaccord fondamental, viscéral, avec les thèses d' Extrême droite, en choisissant (symboliquement) de chanter aux portes d'Orange plutôt qu'à Orange même, à cinq bornes de Toulon plutôt qu'à Toulon même, ça ne « pénalise » ni n'exclut les publics de ces villes et ça évite de se demander si notre présence cautionne ou non la municipalité. Chanter dans des villes F.N., quoi qu'on y fasse, c'est accepter, banaliser, légitimer le fait que le F.N. puisse gérer des villes. Et toc !

Alors je me suis dit que, quand même, elle avait pas tort. Bon, je vais encore me faire traiter de girouette si je change d'avis entre le début de ma chronique et la fin, j'aurai beau répondre que « C'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent », je vais encore me faire allumer, y aura encore personne pour me défendre. Alors j'ai dit à ma gonzesse : « Bon, t'as peut-être raison, mais alors je boycotte aussi Nîmes. La mairie est repassée aux mains des communistes. Pour les millions de morts de Staline, pour la liberté assassinée dans tant de pays au nom de cette idéologie, pour les goulags, les anarchistes ukrainiens massacrés en 1919, pour le Tibet annexé, pour la place Tien An Men et les procès de Moscou, pour les accords de Grenelle en 68, et surtout pour la seule Shoah qui distingue le communisme du fascisme, je ne chanterai jamais dans une ville coco ! » Après, j'ai aussi expliqué que les villes U.D.F, R.P.R ou P.S valaient guère mieux, que le libéralisme économique (nouveau nom du capitalisme, vous aviez remarqué ?) qui engendre la misère économique sur les trois quarts de la planète, qui pille et affame le tiers monde, qui génère les guerres, qui assassine l'intelligence à coup de TF1, CNN, Mcdonald's et Disneyland, avait, depuis la révolution industrielle du siècle dernier, probablement fait autant de victimes que fascisme et communisme réunis, est c'que ce coup-ci je peux finir les nouilles ?

Alors ma femme m'a dit que si je comparais le fascisme avec n'importe quoi d'autre j'allais me faire voler dans les plumes. J'ai juste dit que je comparais seulement le nombre de morts mais ça l'a pas convaincue. Et moi non plus.

P.-S. : Bon, sans dec', je dois chanter à Toulon le 23 novembre prochain, d'ici là y aura un lecteur plus malin que moi pour me dire si je dois boycotter ou pas? Ou alors je me démerde pour dire tellement de mal de Toulon, Orange et Marignane que d'ici à cet automne, je serai peut-être interdit dans ces villes. L'idéal, non ? »


le 22 mai 1996***** Alors bois ! Renaud rejoint le Front de libération nationale de Montauban
Je suis tombé amoureux.

Hé ! Pas d'une fille ! Non, de ce côté là y a plus de place dans mon p'tit coeur plein de Dominique. Quant à mon corps il est à elle aussi, depuis le temps qu'elle a fini par s'habituer à ce truc puisque dans quelques mois ça fera vingt ans qu'on est ensemble. (Eh ouais, les filles, fallait épouser un protestant?). Je suis tombé amoureux de Montauban. Vous connaissez ? Putain la ville ! Tu meurs ! Je viens d'y passer deux jours, invité à participer au festival « Alors Chante ! ». J'aurais pas eu ma fiancée et notre enfant à Paname j'y restais ! N'y allez pas, ou pas trop nombreux, sinon après ça sera moins bien? Je suis pas trop balèze pour dire du bien, la dithyrambe touristique, c'est pas mon truc, je suis plus à l'aise avec les coups d'État militaires indonésiens qu'avec la douceur de vivre montalbanaise, mais vraiment, c'est le plus bel endroit du monde et les gens gentils comme tu crois plus que ça existe. Ma femme m'a dit : Quand t'as bu t'aimes tout ! Pis tu veux jamais aller nulle part mais quand t'y es, tu veux plus jamais repartir ! » Elle a pas tout à fait tort. C'est vrai que j'ai un peu abusé des produits régionaux. J'allais pas arroser d'Orangina les magrets de canard et les foies gras que la municipalité nous a généreusement prodigués afin de nous sustenter avant et après les concerts, c'est quand même meilleur au Ricard.

Je suis amoureux, ça me rend tout triste, du coup j'ai juste envie d'écrire une chanson pour Montauban et pas une chronique pour Charlie.

C'est con l'amour hein ?


le 19 juin 1996***** Le Basque, purificateur ethnique ! Contre le nationalisme, Renaud porte le béret basque !

Je m' excuse de revenir là-dessus mais je trouve un peu dégueu que les récentes expulsions de réfugiés politiques basques vers l'Espagne n'aient pas suscité sous la plume de mes amis de Charlie quelques propos énervés. Je sais bien que la « cause » basque, pour son fond de nationalisme, n'est guère populaire ici, mais moi, perso, j'ai du mal à rejeter les individus victimes de l'État policier sous prétexte que je n'adhère pas totalement à leurs convictions (ce qui, d'ailleurs, reste à prouver?). Sil fallait demander un certificat de bonne conduite, de bonne moralité, de comportement « politiquement correct » à tous les opprimés, les massacrés, les génocidés de l'histoire, j'ai peur que nous n'ayons bientôt plus grand monde à défendre? « Je vais pas pleurer sur le sort de ces moines trappistes décapités, ils étaient croyants, moi non ! » Tu vois le genre ?

Bon, et pis d'abord, est ce que « nationalisme » ça veut forcément dire réac, facho, raciste, beauf, haineux, de droite et j'en passe ? Me semble qu'on est quelques-uns à Charlie (pas tous?) à soutenir une armée zapatiste de libération nationale, que le FLN algérien qui luttait contre le colonialisme français fut soutenu par la gauche comme le sont dune manière générale tous les mouvements de libération nationale, que l'on s'accommode assez facilement d'un nationalisme qui fédère les opposants à l'occupation militaire, à l'oppression, voire à l'impérialisme économique et culturel d'un peuple au détriment d'un autre, que l'on aurait beau jeu de reprocher aux Tibétains d'être nationalistes, aux Kurdes, aux Kanaks, aux Palestiniens, comme l'étaient hier dans l'Europe occupée les résistants au nazisme. « Oui mais c'est pas pareil ! me dit-on. Quand le nationalisme est lié à une lutte de libération territoriale il est compréhensible, plus du tout lorsqu'il est une fin en soi ! » Bon? Je n'ai jamais remarqué que le Pays basque français souhaitait ses frontières, sa monnaie, son armée, son économie propre, sa langue à l'exclusion de toute autre, qu'il envisageait de chasser les immigrés, qu'il prônait la « préférence nationale » ou l'épuration ethnique contre les non-Basques? Je ne suis pas assez malin pour vous dire si le peuple basque, des deux côtés des Pyrénées, a tort ou raison de se vouloir « nation historiquement une et indivisible », je vous avoue que je les verrais d'un meilleur ?il obtenant un genre de statut de région avec une forte autonomie mais au sein d'une Europe sans nouvelles frontières, elle tend à les gommer, que la création d'un micro-Etat me fait immanquablement penser au danger dune bosnisation de l'Europe avec tous les conflits futurs que cela risque d'engendrer. Mais on ne m'ôtera pas de l'idée, moi qui fus bercé au « droit des peuples à disposer deux-mêmes » que le droit à l'autodétermination du peuple basque est légitime au regard de l'occupation militaire, policière, économique, culturelle que l'Espagne beaucoup et la France pas mal exercent sur ces deux millions d'habitants. Droit d'enseigner et de parler sa langue sil le veut, revendication dune identité qu'on lui dénie, protection de sa culture, de ses traditions (à la con ou pas, peu importe?) et de ses paysages, le Basque refuse aux États centralisateurs et jacobins de décider de son économie, de sa politique, de son destin. Et puis surtout, quels que soient les évènements qui ont abouti à la situation d'aujourd'hui, il entend résister à la répression policière, militaire et barbouzarde menée conjointement par Paris et Madrid par les socialos d'hier comme par la droite d'aujourd'hui, contre les militants, les réfugiés politiques, les emprisonnés, les exilés.

Mon pote Txsetx m'écrit ceci : « En 1989 le gouvernement espagnol a organisé de A à Z l'assassinat du député basque Josu Muguruza, le soir même de son investiture au Parlement de Madrid. Un autre parlementaire, Inaki Esnaola, fut grièvement blessé lors de la même action. Deux policiers et un mercenaire d' Extrême droite tirèrent les coups de feu, couverts par huit agents des services secrets espagnols. Voici donc un État de l'Union européenne qui organise froidement l'assassinat d'un représentant du peuple parce qu'il n'admet pas l'option politique dont il est le porte- parole ! En 1989 encore, le ministre de l'Intérieur José Luis Corcuera a fait poster trois colis piégés, dont un destiné à un parlementaire d'Henri Batasuna, qui tua le facteur chargé de le livrer. Dans les treize dernières années, la jeune et belle démocratie qu'est l'Espagne a pratiqué systématiquement la torture, des traitements pénitentiaires inhumains et illégaux, l'incarcération de journalistes, d'avocats et de parlementaires, a organisé un groupe para policier, le Gal, dont les activités se soldent par une multitude d'assassinats sur son territoire comme sur celui d'un État voisin au moyen de voitures et moteurs piégés, de mitraillages indiscriminés à l'encontre d'hommes, de femmes et d'enfants, a organisé ou tenté l'enlèvement d'au moins sept personnes sur le territoire français, dont deux ont été sauvagement torturées pendant trois mois consécutifs, exécutées et enterrées dans la chaux vive, assassiné ou tenté de le faire au moins trois parlementaires basques légalement élus au suffrage universel? »

Pour les six réfugiés politiques basques récemment livrés en toute illégalité à l'Espagne par Paris (sans que Madrid n'ait formulé de demande d'extradition), pour ceux qui purgent leur fin de peine dans les prisons françaises et risquent d'un moment à l'autre d'être extradés ou expulsés, on peut craindre le pire quand on sait que certains de ceux qui ont connu récemment le même sort ont été brutalement torturés aussitôt livrés aux policiers espagnols.

Je ne voulais pas que Charlie Hebdo soit concerné par les propos de mon pote basque lorsqu'il conclut : « Ne rien dire sur de tels faits, ne pas s'opposer à leur remise par l'État français aux mains de tortionnaires et d'assassins patentés, occulter les vraies raisons et origines du conflit armé basque ôte toute crédibilité à ceux qui se prétendent champions des Droits de l'homme et de la défense des libertés. »


 le 6 septembre 1995*****Nique la Bonne Mère... A Notre- Dame de La Garde, j'ai prié pour mon auto-radio !!!

Dis donc ma fille ? Puisque nous allons faire un petit viron à Marseille cet après-midi, que dirais-tu de monter jusqu'à Notre-Dame-de-la-Garde ? Moi j'allumerai un cierge pour le match de l'OM de demain, toi tu pourras dire à tes copines que tu as visité un chef-d'?uvre d'architecture pâtissière de la secte des papistes.

-
Bof... Moi, tu sais, les églises... C'est que des tas de pierres... me répond Lolita avec l'enthousiasme qui caractérise les ados dès qu'il s'agit de visiter autre chose qu'un McDonald's.

- D'abord c'est pas une église ! je rétorque, c'est... Heu... Une cathédrale ! Peut-être même une basilique !

-
Ah bon ? Et c'est quoi la différence entre une église, une cathédrale et une basilique ? me demande-t-elle, un brin perverse.

- Bon ! Laisse tomber ! On n'y va pas! m'énervè-je alors.

-
Ouah l'autre, eh! Y sait même pas la différence entre une église et une cathédrale et pis une basilique! Ouah la honte !

Il m'en faut plus pour perdre la face devant ma fille. Je lui sors alors une théorie inventée sur-le-champ, en une fraction de seconde, théorie qui, par la suite, tout bien réfléchi, ne me paraît pas complètement absurde :

-Une église, c'est là qu'officient les prêtres. Dans une basilique c'est un évêque et dans une cathédrale un archevêque. Et toc!

-
Ouais'? T'es sûr'? Fais gaffe, je demande à maman...

Mais maman savait pas non plus, alors j'ai dit que c'était pas la peine de chercher plus, que j'étais sûr que ma réponse était bonne, la preuve, je venais juste de l'inventer. Pour me féliciter de cette intelligence exceptionnelle qui me permet de deviner les secrets de l'univers même lorsque je n'en connais pas la réponse, ma famille a accepté de m'accompagner. Nous voilà donc partis. Avec mes béquilles et mon pied plâtré jusqu'à le genou, j'ai eu un peu de mal à crapahuter jusqu'au parvis qu'un bon millier de marches séparaient du parking où nous avions garé la voiture, pas loin d'une petite bande de kakous des quartiers nord, désoeuvrés, nonchalamment appuyés à de pitoyables motocyclettes, et qui semblaient envisager l'avenir, le regard tourné vers la Méditerranée, en se demandant s'ils plongeaient tout de suite ou maintenant. Je levai la tête pour mater un peu sous la robe d'or de la Vierge, là-haut, au sommet du clocher rococo, dominant la cité phocéenne de ce mépris hautain caractérisant les mamans des fils de Dieu. « Si elle a pas de culotte, je la balance à son fils ! » pensai-je.

-Pas mal, les fringues de la Bonne Mère, hein ? me dit alors ma femme. Ah c'est pas toi qui m'offrirais des robes comme ça ! Y'a au moins dix kilos d'or là-dessus ! Un peu vulgoss' mais bon...

-Nouveau riche, tu veux dire ! Femme de charpentier parvenu, signes ostentatoires d'arrivisme forcené ! Avec l'or des pauvres en plus... Décidément je déteste cette religion ! Toutes les religions, on déteste ! intervient ma fille, anticléricale et athée comme pas deux. Et pis tous les escaliers ! Dis, papa, c'est encore haut la béatitude ?

-On est arrivés ! Tu vas voir, à l'intérieur c'est vachement joli ! Y'a plein dc maquettes de bateaux accrochées partout. C'est les offrandes des marins qui ont survécu à des tempêtes ou des naufrages. Pis y'a des écharpes et des fanions de l'OM, c'est les offrandes des supporteurs qui ont survécu à Bernard Tapie. On a le droit d'accrocher ce qu'on veut'? Tu vas accrocher quoi, toi, comme offrande ?

Une canette de Kronenbourg pour avoir survécu à ta muflée de l'autre soir ?

-Ecoute ma fille, je lui dis, déjà si en redescendant on s'est pas fait taxer l'autoradio ça sera un petit miracle. Faut pas trop en demander non plus...

On a visité, c'était joli. Putain, y z'ont du pognon chez les papistes ! La maison du Seigneur, excusez-moi, c'est pas du Leroy-Merlin ! J'imagine qu'il faut bien ça pour faire rêver les cons. Tu vas pas faire croire à un monde meilleur à de pauvres esprits en les recevant dans un bouge. Quoique... Les universités d'été du Front national de Toulon ça se tient dans un palais des Sports à la con et les cons marchent quand même...

En redescendant j'ai essayé de renoncer à mes béquilles, des fois que je sois devenu le premier protestant non-croyant-non-pratiquant au monde à bénéficier d'une guérison miraculeuse du péroné par la Mère honnie, mais rien du tout.

En me ramassant au pied de l'escalier, ma femme m'a heureusement remonté le moral :

-Tu vois bien qu'y a un bon Dieu ! Je crois pas qu'on se soit fait piquer l'autoradio !

-Comment ça, tu crois pas ?

-Ben je crois pas, parce que la voiture est plus là...
 


le 30 janvier 1996 ***** Un basque mouche Renaud
Mon cher Renaud, ta générosité et ton grand cœur d'humaniste te font parfois dire des conneries. Sur le problème basque, une petite précision : chez les Abertzales, y a de tout : R.P.R., gauchistes, curés, difficile de lire plus éclectique. L'idée de nation basque les réunit, et, ma foi, ça ne marche pas trop mal entre eux... Bon, oui, je suis né au Pays basque, je vis au Pays basque, aime bien ma région, mais l'indépendance, j'en ai rien foutre ! Chez nous, l'école publique est menacée par les curés et les « Basques ». En plus de l'Etat, deux écoles rivées l'emmerdent : celle des culs-bénits et l'Ecole basque, l'Ikastola. Quand un gosse quitte l'Ikastola, t'inquiète pas, il va chez les curés, qui s'entendent comme larrons en foire avec les indépendantistes. Une vieille histoire, la guerre d'Espagne, tout ça...

Qui est emmerdé ? L'école laïque, comme d'habitude. Maltraitée depuis des années par un Etat qui n'a aucun projet, la voilà aujourd'hui concurrencée par des cotes privées aux dents longues. Vérité des temps modernes, le privé fait recette. Logique implacable. décote de l'accueil, l'école qui fraternise, celle qui nous mènera vers la liberté, cette chère « laïque » doit crever. l'Etat veut briser la résistance. La laïque, martelée, attaquée un peu plus chaque année, s'accroche fièrement, s'arc-boute, elle ne cédera jamais... Les indépendantistes embobinent, trouvent le pognon. Le bourrage le crânes, le discours persuasif, c'est leur truc. Et puis l'identité. Le folklore, la langue, très bien tout ça, sympa, mais que vient donc foutre le régionalisme dans une logique européenne balbutiante, certes, mais qui nous propulsera à long terme vers la grande partouze, l'Internationale ?

Oui, je sais, le Pays basque a bien son histoire, son sang versé, n'oublions pas sa farouche résistance devant la saloperie franquiste, et puis rappelons qu'il ne faisait qu'un; parlons aussi de sa culture, ses traditions...

D'accord. Mais pourquoi en faire à tout prix une revendication identitaire ? Qu'est-ce que l'identité si c'est un mirage créé par l'irrationalisme humain ? On se fout de l'identité. Ça veut rien dire. Préservons les cultures régionales, chacune doit survivre, notamment en France. Je l'admets, même si je m'en branle. Gardons tout ça, ça ne fait de mal à personne. Mais l'identité, c'est n'importe quoi !

Bon, la laïcité, c'est le langage universel, hors de toute religion. C'est une arme redoutable face au nationalisme et au fascisme. Arrêtons, une fois pour toutes, de la cocufier, et donnons-lui de véritables moyens ! Aujourd'hui plus que jamais, on a besoin d'une école publique puissante, généreuse. Depuis des années (connards de « sociales » !), on l'affaiblit. On voit le résultat. Attention. En crachant sur notre Etat qui ne branle rien, je vilipende également les flics, complices des tortionnaires espagnols. De simples militants, torturés, humiliés. Salopard de Mitterrand, qui n'a jamais bougé une oreille, et qui a même approuvé ! Les nazis des G.A.L., les flics espagnols méritent la perpétuité pour ces infamies. Droits de l'homme bafoués, derniers soubresauts franquistes, mussoliniens, les flics resteront toujours les flics. Je suis d'accord, le scandale existe. Gras, énorme... Mais les terroristes, les attentats, caca aussi. Allez, place au rationalisme, non au « nationalisme », et vive la laïcité, bordel !


Salut, Renaud!
UN BASQUE DE GAUCHE, GRÉVISTE, « GUÉVARISTE », VINGT ANS
P-S. : Ah ! Si Charlie avait 6 milliards de lecteurs...
(
Je reprends tout ce que disent Val, Cavanna et Charlie depuis trois ans. Au départ, sceptique, j'ai regardé à côté de moi, pour maintenant confirmer. La logique l'emporte.)

Le 30 janvier 1996***** Tu veux un Kleenex, Renaud ? Renaud, non, je n'ai pas pleuré.
De toute façon, quand on pleure un mort, ce n'est jamais que sur soi qu'on pleure' ! Primo.

Secundo : je répugne à être méchant avec toi parce que, avant de m'en prendre au gentil poète que tu es... il y a fort à faire avec les militaires, les flics, enfin tous les sclérosés de l'imaginaire. Renaud, tes articles sur la mort de Mitterrand m'ont fait chier, et ont dû en faire chier quelques-uns.

Que tu chiales parce que c'est comme si tu perdais ton vieux, O.K. On est en pleine projection, en plein transfert collectif, comme pour tous les abrutis de la Bastille. Tu connaissais l'homme pour l'avoir rencontré, pour avoir reniflé son odeur. Que la séduction ait opéré, c'est possible, on peut comprendre. L'autre jour, j'ai bien rêvé du pape, que j'ai pourtant en horreur. Or, lorsqu'il s'approcha de moi pour me dire : « C'est bon ça : l'énergie vient de dessous les pieds ! », j'étais incapable de lui foutre mon poing sur la gueule !

Seulement voilà, il se trouve que l'homme par qui le scandale arrive est un sale pétainiste mégalo qui osait prétendre que, dans ces années-là, il ignorait le statut des Juifs! Qui a continué à fréquenter le bourreau Bousquet pour des raisons obscures, sauf celles du porte-monnaie, bref, un sale mec assoiffé de pouvoir et de prestige, un suppôt des marchés et de l'Europe du fric et des canons, un mou de la couille client du bordel capitaliste qui cependant a bien baisé la classe laborieuse en 1982, et j'en passe...

Allons, si Mitterrand avait été un type respectable, il aurait continué d'écrire du fin fond de sa Charente, et peut-être même de la poésie, en renonçant au politique... A tout le moins à ce politique-là. Alors, Renaud, si tu pleures la disparition d'un proche : rien à redire, chacun ses fréquentations. Mais que tu fasses de la retape pour le deuil à Tonton, là, nous sommes en pleine confusion... à moins que? Je suis désolé de te le dire: se mettre un chapeau sur la tête, une rosé au fion et fréquenter un gratouilleux à foulard, c'est un peu juste comme alibi.

le 24 avril 1996***** Hasta la Victoria peuchère ! Après Renaud chante Brassens, Renaud chante l'OM !
Finalement vous aviez raison : le foot, ça rend con. Pour vous expliquer comment j'en suis arrivé à cette évidence, il me faut vous raconter un peu tout depuis le début. Vous n'êtes pas sans ignorer que je passe la plus grande partie de mes vacances à L'Isle-sur-la-Sorgue, une charmante petite ville du Vaucluse située à soixante-dix bornes de Marseille. Il y a environ six ans un voisin m'a proposé de m'emmener au Stade Vélodrome assister à un match de l'OM. J'aime bien le foot (je vous en veux même pas de pas l'aimer) et, au début des années 1980, je m'étais déjà fourvoyé dans un stade, en l'occurrence au Parc des Princes, pour soutenir Saint-Etienne puis Lens face au PSG. Puis le drame du Heysel et le hooliganisme en général m'avaient définitivement écœuré de la fréquentation de ces lieux où quarante mille têtes semblent se partager un seul cerveau atteint d'encéphalopathie spongiforme. Mais, ce jour-là, sensible aux arguments de mon Marseillais de voisin quant à l'ambiance bon enfant qui, selon lui, animait les tribunes du Stade Vélodrome, je l'accompagnai. Dans les quarts de virage, au milieu du petit peuple de Marseille, j'avoue que je fus conquis. Lorsqu'un de mes voisins de gradins cria à l'arbitre « Salaud ! » une dizaine de supporters se tournèrent vers lui avec des « Ohhh ! » indignés. « Soyez poli quand même, pas la peine de l'insulter ! » déclara un vieux à l'intrépide. « Eh ça va ? Tout à l'heure vous le traitiez d'enculé ! » Le vieux répondit alors avec l'accent du Vieux Port : « Ah mais, c'est pas pareil, enculé c'est pas une insulte, c'est son prénom ! »

 

Je retournai alors régulièrement au Stade et je rigolais bien. Marseille brilla pendant plusieurs saisons, affronta les plus grands clubs d'Europe et remporta la Coupe au grand désespoir des Parisiens qui courent encore après. Pour une fois, c'était le Sud, Marseille la pauvre, la Méditerranéenne, la cosmopolite (la magnifique), qui faisait la nique à la capitale bourgeoise et arrogante. Seule ombre au tableau de ma satisfaction, Bernard Tapie, que, décidément, malgré le prestige dont il bénéficiait à Marseille, je ne pouvais vraiment pas encadrer, trop attaché que je suis à la morale et l'honnêteté. Les magouilles d'icelui amenant l'OM au purgatoire de la D2, le show-biz, les médias, les chroniqueurs sportifs, tels des rats quittant le navire en détresse, commençant à baver sur cette Marseille qu'ils avaient adulée quelque temps auparavant, mon intérêt se transforma en acharnement. Je pris ma carte d'abonné au virage sud et m'intégrai chez les Winners, le club de supporters où mes potes Rachid, Moïse et Christian affichent des drapeaux du Che, des banderoles « Stop Nazis ! » et des drapeaux israéliens, comme un défi aux nazillons du Kop de Boulogne du PSG.

Depuis quelques mois une jeune Journaliste de « Télé-foot », Marianne Mako, ayant eu vent de ma présence régulière chez les Winners, souhaitait m'arracher quelques mots d'interview. La semaine dernière, à l'occasion du match contre Auxerre, je finis par céder à son insistance et lui proposai de la rencontrer trois minutes dans un bistrot près du stade. Comme je suis trop gentil ou trop con, j'acceptai qu'elle et sa petite équipe, caméra et son, me suive pour filmer mes réactions durant tout le match. Arrivés au virage sud, au milieu de mes potes, elle se fit bien un peu chambrer, cinq mille voix entonnant sur l'air des lampions « Marianne Mako est à genoux devant nous et elle nous suce le bout ! » Mais elle ne s'offusqua point de ce fantasme collectif si ouvertement avoué. Mieux, elle sympathisa avec les plus acharnés et trouva l'ambiance extraordinaire, chaleureuse et sympathique. Après la défaite (imméritée...), alors que nous quittions le stade et que je lui vantai la fraternité qui régnait dans ces tribunes, que je lui expliquais qu'ici il n'y avait ni racisme ni violence, que je n'avais jamais assisté au moindre baston, elle eut la mauvaise idée de me proposer encore trois mots d'interview, juste pour que j'exprime ma déception après cette victoire des Auxerrois. Des milliers de personnes qui, dans notre dos, quittaient le stade légèrement dépités, une centaine de braillards hystériques attirés par le projo de la caméra se détachèrent alors pour venir nous entourer, d'abord en chantant leur amour pour l'OM puis leur haine pour la rivale de toujours, Paris-Saint-Germain. Jusque-là ce fut bon enfant... Jusqu'à ce qu'un plus excité commence à insulter la journaliste parce que TF1 = Paris, parce que Paris = PSG, même si je suis la preuve vivante que pas forcément. En quelques secondes la foule devint furieuse, le cameraman reçut un bourre-pif, le preneur de son un caillou, Marianne Mako se fit cracher au visage par dix bons enfants et les trois se firent traiter de quelques noms d'oiseaux même pas dans le dictionnaire. Avant qu'ils ne se fassent véritablement lyncher par cette meute hystérique, nous avons tous promptement entamé un repli stratégique vers une autre sortie.

Finalement vous aviez tort. C'est pas le foot qui rend con, c'est la foule.


le ..novembre 1996*****  Maudite soit Toulon !

Un soir que j'avais bu plus que de raison dans les bouges de Chicago, le quartier "chaud de Toulon", fait la fermeture d'un bar vers cinq heures et l'ouverture d'un autre aussitôt , je m'étais fais chambrer par un coiffeur qui trouvait mes cheveux jaunes assez moches. Son salon était juste à côté du bistrot, à sept heures je m'y installais et ressortais une heure et demie après coiffé à la punk, crête d'Iroquois rouge vif sur une tignasse noir-corbeau. Classe !

 

Dans le train du retour sur Paris, l'après midi, ayant passablement dessaoulé, j'avais un tout petit peu honte, arrivé chez moi ma femme a prononcé les mots "divorce" et "sac à vin" et ma fille m'a jeté des cailloux. J'ai eu beau expliqué que rouge et noir, au rugby, c'était les couleurs de Toulon, elle m'a demandé si, pochetronant à Saint-Étienne, je serais revenu avec les cheveux verts. J'ai rien répondu parce que pour être tout à fait sincère, je pense que oui.

Je me souviens aussi d'un lendemain de concert, un matin, dans le hall de l'hôtel Novotel sur le mont Faron dominant la ville, avoir croisé une bande d'anciens combattant qui, sur leur trente et un, s'apprêtaient à aller déposer quelques gerbes sur un quelconque monument aux morts-pour-rien dans une quelconque guerre à la con. Les couronnes étaient alignées bien sagement dans le hall, pendant que les vieux briscards étaient occupés à la réception j'ai barré d'un feutre rageur l'inscription d'un ruban tricolore honorant les "héros tombés pour la Patrie" et écrit un impitoyable "maudite soit la guerre !".

Il y a prescription, c'était il y a longtemps... Mais depuis je n'ai cessé de me demander en quoi cette phrase pouvait ne pas être apprécié par ceux-là même qui avaient vécu (presque autant que les civils) l'horreur de la guerre. Peut être finalement, y ont-ils pris goût... Peut être que, gagnée ou perdue, juste ou pas au regard de l'histoire, la guerre fut leur raison d'être comme le cuir est la raison d'être du cordonnier. Peut-être, en honorant leurs camarades morts au combat, pleurent-ils le combat avant tout...

Je ne crois pas avoir remis les pieds à Toulon depuis. Le rouge et le noir des maillots de rugbymen doit faire tache avec le brun de la mairie. Quant aux anciens combattants, s'il en reste, ils doivent parader sous l'oeil attendri de Jean-Marie Le Pen, sans même réaliser que, cinquante ans auparavant, c'est cette même peste brune qu'ils combattaient.

Avec mes potes de Charlie Hebdo qui sont allés tâter le terrain et dont vous venez de lire les reportages, nous nous apprêtons à y retourner, histoire de constater, j'espère, que si la liberté y est plus menacée que partout, le vent de la résistance y souffle plus qu'ailleurs

 Renaud