Avec l'aimable autorisation de l'auteur ( Lolita Séchan) 

À chaque fois qu’une année commence, les gens prennent un malin plaisir à nous souhaiter des choses qu’on ne souhaite pas. Du travail, par exemple, ou la santé. Alors que c’est si bon de se plaindre de nos petits bobos en se tournant les pouces. Cette année, j’ai eu droit à une quinzaine de “Et un bébé pour 2008!” Ce que ces gens bien intentionnés et légèrement conventionnels ne savent pas, c’est que j’ai déjà un bébé dans ma vie. Bon, ok, il a 55 ans et carbure à la 16, mais sa candeur et ses lubbies ont tout de celles d’un enfant de huit ans. Cet adulte à l’âme pré-pubère, c’est mon père. Pas simple! Heureusement, j’ai été entraînée dès le plus jeune âge à survivre à ses passions soudaines. “Survivre” est un terme un peu exagéré, vous trouvez? Peut-être… à vous de juger.

Je devais avoir quatre ans quand mon père a décidé d’avoir un chien. Comme ma mère aimait les animaux et que j’étais trop petite pour contester, on a eu un chien. Mais pas n’importe lequel. Je ne sais pas trop où il avait trouvé Pirate, sûrement dans une décharge, mais c’était l’animal le plus con du monde. Tellement con que je m’en souviens. Cette bête était un petit bâtard maigrichon, à peu près aussi laid qu’un Lévrier mélangé avec un Bobtail. L’activité favorite de Pirate était la mendicité dans les restaurants. Quand il avait finit de bouffer à toutes les tables, il vomissait son butin aux pieds de mes parents, puis remangeait son vomi et repartait faire sa ronde. À moi, qui rampais par terre, d’éviter les restes de galette.

Plus tard, peut-être afin de justifier le nom du chien, mon père a voulu devenir marin. Il a fait construire un bateau, s’est plongé dans “Comment survivre en mer quand il n’y a plus d’eau potable et qu’on a déjà mangé sa femme” et a kidnappé sa famille pour la traversée d’un océan quelconque. Sans jamais avoir pris la moindre leçon de navigation, bien sûr. On s’est donc retrouvés sur un voilier à coque noire, avec un gamin élevé au bitume de la porte d’Orléans pour capitaine. Hisse et ho ! Les jours s’écoulaient au rythme de mes nausées. Affalée sur le pont, régurgitant mon biberon sur un Pirate aussi malade que moi, je suppliais ma mère d’arrêter la mer. Mais ma maman n’étant pas exactement Poséidon, tangages et roulis ont continué leur danse. Je ne sais pas si cette “aventure” à cessé parce que le matelot qui voguait avec nous -un vieil alcoolique nommé Pays- avait balancé mon doudou dans l’océan pour cause de lapins imprimés dessus, ou parce que mon père avait failli jeter ma mère par dessus bord parce qu’elle l’avait battu au Trivial Poursuite : toujours était-il, cette escapade salée à cessé et le chien et l’enfant ont fuit comme des dératés vers la terre, loin du bateau infernal.

Ensuite, ça a été le Nego Chin. Mon père avait vu ces barques plates à L’Isle sur la Sorgue et s’était dit : “Pourquoi pas moi!” Si ces embarcations s’appellent “noie le chien”, ce n’est pas pour rien. Pour la beauté de l’histoire, j’aurais aimé dire que Pirate avait trouvé la mort sur cette planche casse-gueule supposée flotter, mais il était déjà mort depuis longtemps à cette époque. Un repas de trop, mendié dans un resto un peu louche, intoxication alimentaire, adios Pirate, on t’aimait bien, de loin. Donc, pas de chien sur cette galère, juste ma mère et moi à nouveau, avec mon père à la perche. Inutile de raconter le nombre de plongeons forcés qu’on s’est tapés dans l’eau glaciale de la Sorgue, le nombre de fois où on est ressorties les cheveux plein d’algues et de sangsues… Les femmes et les enfants d’abord ! Le Nego Chin, c’est pire que conduire un Véli’b en plein coma éthylique.

Je vous passe six mois à tenter de survivre au climat morose de Valenciennes parce que papa voulait descendre à la mine, les deux ans de piano avec une vieille folle qui puait des aisselles parce que papa rêvait que je joue du Rachmaninov mieux que Rachmaninov, les heures à essayer de comprendre ce que signifiait une tache blanche sur une fond blanc lorsque papa s’est passionné pour l’art contemporain, bref! vous l’avez compris, les passions de mon père sont dangereuses pour la santé. Tout ça pour en arriver à Meudon.

Et oui, la nouvelle lubie de ce papou un peu branque, c’est d’habiter à Meudon, et son Grand Argument c’est que Meudon n’est qu’à “treize minutes de la Tour Eiffel”. Tu parles d’un argument. Pourquoi la Tour Eiffel? Pourquoi pas aussi le parcmètres de la rue du chat qui pèche? À moins d’avoir un hélicoptère ou de faire du 120 au milieu de la nuit, impossible d’aller à Meudon en treize minutes. Encore un truc pour que je tue quelqu’un en scooter.

“Mais siii, treize minutes j’te dis, et pis y’a un jardin pour ton p’tit frère et des grands placards pour les fringues de ma femme.
-Ah ouais… et pour moi y’a quoi, à part quinze minute de Denfert à la Tour Eiffel et treize de la Tour à Meuuudon?
-Pour toi y’a ma colec’ de train électriques et des guitares achetées 15 euros sur e-bay. Comme ça tu pourras t’y mettre et jouer du John mieux que John!”

Comment, lui qui a grandi sur les trottoirs de Panam, qui a passé des heures dans les bistros Parisiens à refaire le monde dans un sens puis dans l’autre, sans oublier de l’arroser au passage, comment ce papou parisien jusqu’au bout de la cibiche peut émigrer à Meudon?! Et le pire c’est qu’il déteste cette ville! Il n’assume pas du tout d’avoir à dire qu’il vit là-bas. C’est sûr, ça fait prout-prout… Encore une longue traversée de l’océan en perspective ! Remarquez, c’est pas mal Meudon, c’est tellement mort que personne ne notera qu’il a tué sa femme si elle gagne au Trivial Poursuite.

Voila. Dans Wikipédia ils disent que Meudon est “célèbre pour sa tranquillité”, c’était avant que mon père y vive. Avec un peu de chance, et en comptant sur sa nature farfelue, il lui faudra trois mois pour chambouler la ville, adopter tous les chiens errants, créer un musée de la marine et du Négo Chin, organiser des concerts de musiciens amateurs qui ne jouent ni aussi bien que Rachmaninov ni aussi bien que John et surtout prendre la tête du bar du coin et passer des heures nostalgiques à penser à Paris, assis sur des banquettes en sky.

Avec un peu de chance surtout, ce bébé qu’on me souhaite pour 2008 attendra 2010 et sera aussi passionné, barjo et idéaliste que son grand-père.

Dès qu’il aura trois ans, je lui offrirai une trottinette pour qu’il aille voir son papy à Meudon : “Mais non gamin, c’est pas loin, à peine treize minutes de la Tour Eiffel, alors patine ! “

 Les Chronix de Lolita  

Renaud