Rapport Chabalier "Alcoolisme: le parler vrai, le parler simple"
                                                      
"Il faut enseigner la maladie alcoolique"
Vous êtes directeur de l'agence de télévision Capa. 
Pourquoi avoir accepté de réaliser une "mission de réflexion et de proposition" 
sur la lutte contre l'alcoolisme ?
J'ai accepté parce que j'étais un bon porte-drapeau. 
L'impact de mon livre, Un dernier pour la route, a été très important. J'ai eu 
l'impression de soulever le tapis et de libérer la parole sur l'alcool. 
L'alcoolisme est la maladie la plus déniée en France. Le fait d'en avoir parlé 
comme je l'ai fait ne me pose pas comme expert, mais montre simplement qu'il y a 
une manière d'aborder ce problème en touchant les gens. Il existe une ignorance 
et un désintérêt en France pour l'alcoolisme. Ce problème n'est jamais au-dessus 
de la pile au ministère de la santé.
 Comment expliquez-vous le 
non-engagement des politiques face au problème de l'alcoolisme ?
 
Parce que les politiques ont un souci, quand ils 
sont élus, c'est d'être réélus. Ce n'est pas un reproche que je fais là, c'est 
un constat. Or, l'alcoolisation est, culturellement, totalement admise dans ce 
pays de vignes. L'alcool est magnifié. Il accompagne tous les rites sociaux. 
C'est pourquoi il est très compliqué de dire : "Attention, l'alcool est 
dangereux pour la santé." Pourtant, c'est le seul discours possible. "Buvez 
modérément" ne signifie rien. Je ne demande pas aux politiques de dire de ne pas 
boire d'alcool, mais de relayer l'information sur la dangerosité de ce produit. 
Il faut faire de la prévention, car l'alcoolisme est un immense problème de 
santé publique : il est à l'origine d'un tiers des incarcérations pour crime, de 
50 % des violences conjugales, d'un tiers des handicaps... Il faut mener une 
vraie évaluation des conséquences financières et sociales de l'alcoolisme.
La seule volonté politique qu'il y a eue, c'était la loi Evin. Mais, depuis, les 
différentes législatures n'ont fait que s'y attaquer pour essayer de la 
dénaturer. La volonté politique est faible par rapport à la détermination et à 
l'opiniâtreté des lobbies. Le phénomène numéro un de l'alcoolisme, c'est le 
déni. Derrière les trois grands chantiers de Jacques Chirac (cancer, sécurité 
routière, handicap), il y a l'alcool. Mais il n'est jamais pris au premier 
degré. On s'occupe des maladies qui sont souvent les conséquences de 
l'alcoolisation, sans traiter ce phénomène
 En préparant ce rapport, avez-vous découvert des aspects 
que vous ignoriez sur le problème de l'alcool ? 
Le plus étonnant, c'est la non-connaissance par le 
corps médical de l'alcoolisme. La majorité des médecins n'intègrent pas le 
problème de l'alcool ou le minimisent lorsqu'ils voient un patient. On n'a pas 
donné aux médecins cette idée fondamentale que l'alcoolisme est une maladie. 
Enormément de médecins continuent à considérer cela comme une déviance, une 
tare, un travers. Lorsqu'un gynécologue, par exemple, suit une femme enceinte, 
il lui demande toujours si elle fume, mais rarement si elle boit. Il faut 
enseigner la maladie alcoolique au corps médical, lui apprendre que l'alcool 
relève du même mécanisme de dépendance que la drogue.
L'alcoolisme, c'est une maladie progressive. Quand quelqu'un sent qu'il est en 
train de déraper, il faut qu'il puisse en parler. Car on peut prendre en main la 
dérive alcoolique avant que ce soit une catastrophe. Mais, pour la prendre en 
main, il faut la reconnaître : or, actuellement, ni le patient ni le médecin ne 
la reconnaissent, et le pouvoir politique ne fait rien pour que ce soit une 
priorité de santé publique. Il faut combattre le déni.
Vous souhaitez que l'alcool soit "dénormalisé". Qu'est-ce 
que cela signifie ? 
Il s'agit de lutter contre toutes les habitudes et 
les images qui font que boire est considéré comme normal. C'est un combat très 
difficile. Fumer est désormais ringardisé. Il faut parvenir à la même chose avec 
l'alcoolisation. Les personnes abstinentes par nécessité ou par goût sont en 
permanence agressées par l'invitation à boire. La consommation d'alcool est si 
naturelle que, lorsqu'on refuse de boire, les gens sont étonnés et insistent. Il 
faut apprendre à mesurer sa consommation d'alcool. Chaque fumeur sait combien de 
cigarettes il consomme par jour. Par contre, qui sait combien de verres il a bu, 
après une soirée ?
L'alcool n'est pas un produit comme un autre. Dé-normaliser l'alcool, c'est 
refuser qu'il soit commercialisé comme un produit normal. Il faut qu'il y ait 
une éthique de santé publique. Ethique, c'est le mot clé. Le comportement de 
dealers des alcooliers doit être combattu. Il est honteux, par exemple, qu'ils 
sponsorisent des fêtes étudiantes. Quant aux députés, ils ont fait passer à la 
sauvette, comme s'ils avaient honte, des amendements qui foutent en l'air la loi 
Evin.
Dans votre rapport, vous estimez que les initiatives du 
groupe parlementaire "Vin et santé" sont un "pousse-au-crime"... 
 
Est-ce normal d'encourager la culture et de 
magnifier la consommation d'un produit — le vin — dont on sait qu'il n'est pas 
essentiel pour la santé ? C'est un mensonge, une escroquerie sociale de dire que 
le vin n'est pas un alcool comme les autres. Même si, effectivement, il n'est 
pas vécu comme les autres alcools par la société française pour des raisons 
culturelles. Les hommes politiques qui ont des intérêts dans le monde des 
alcooliers (viticulteurs compris) ne devraient pas pouvoir intervenir dans le 
domaine de la santé publique. Il n'est pas question d'être prohibitionniste. Je 
dis simplement : ayez du plaisir, mais sachez que consommer de l'alcool peut 
engendrer des dommages pour la santé physique et mentale.
Que devraient comporter les étiquettes des bouteilles 
d'alcool ? 
 
Il faut y inscrire, noir sur blanc et de manière 
lisible : "Cette boisson est dangereuse pour la santé", et faire disparaître la 
mention : "Consommer avec modération." 
***Le ministre de la Santé 
l’a décidé : des Etats généraux sur l’alcoolisme seront lancés en 2006. 
Initiative louable, dans la foulée du rapport d’Hervé Chabalier . 
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 Source: Hervé Chabalier, directeur de 
l'agence de télévision Capa
"Il faut enseigner la maladie alcoolique"
LE MONDE | 24.11.05