L'Est Républicain, le 29/09/06

« Mes colères récentes et actuelles  Retour en fanfare d'un Renaud prolixe, régénéré par l'amour mais toujours à la pointe du combat. »


- Après la parenthèse « Boucan d'Enfer » on renoue à travers « Rouge Sang » avec un monde qu'on connaissait depuis toujours.
- Cet univers où paraît-il je radote, j'use des clichés éculés... Il s'agit d'un petit catalogue effectivement de mes colères récentes ou actuelles. Le monde est un éternel recommencement dans la barbarie et la tyrannie. Je n'aurai donc de cesse de le dénoncer. J'aurais pu ajouter vingt-cinq couplets aux vingt-cinq existants, évoquer le tyran iranien, futur « génocidaire » qui veut raser Israël de la carte, évoquer le tragique du moindre fait divers dans les journaux, les banlieues, les atteintes aux enfants, les pédophiles, les violeurs, les assassins en tous genres...

- Justement, « Elsa », cette chanson sur le suicide adolescent est inspirée par un fait divers ?
- Cette histoire n'a pas été relayée par les journaux mais elle a bouleversé ma vie. Il s'agit d'une petite fille de votre région que j'ai connue quand elle avait huit ans au Galaxie d'Amnéville. Sa classe est venue dans les coulisses pour m'interviewer avant le spectacle. J'avais été impressionné par cette gamine de huit ans aux grands yeux émerveillés, ses questions particulièrement intelligentes. Nous sommes restés en relation épistolaire. On s'est revu, elle m'a présenté sa famille. J'ai fait la connaissance de son papa, la maman, le grand frère Lucas, beau jeune homme, pianiste virtuose, 20 sur 20 au bac en math, en français, 19 en philo. Il avait un problème avec la vie, a fait une première tentative. Le suicide des jeunes m'a toujours bouleversé. Un jour il est parti dans la forêt avec le chien et 48 heures après, sa petite soeur l'a retrouvé pendu à un arbre au moyen de la laisse.

- Dans ce disque, il est question de vos enfants, de votre nouvel amour.
- La chanson pour Malone a été écrite la veille du mariage avant sa conception. Le prénom est mixte. On ne savait pas encore que ce serait un garçon. Le texte est une lettre ouverte, d'excuse pour lui demander pardon de lui offrir ce monde dégueulasse et à la fois magnifique. Quant à ma fille... Une composition la racontant vient s'ajouter aux précédentes. On l'a vue grandir. C'est une petite femme maintenant. 0n ne se remet jamais de son enfance. Elle en a la nostalgie sans être passéiste. Elle a été, j'espère, comme celle que j'ai connue : douce comme le miel.

- Le jeune papa que vous êtes, chante aussi « les vieux ».
- Je suis un mélange de timidité maladive, de puritanisme - éducation protestante oblige - et un amoureux de la vérité. Quand je décris mes sentiments je le fais à fond. J'ai mis vingt-cinq ans à écrire à mes parents les mots d'amour que je n'avais jamais osé leur prononcer dans le creux de l'oreille. Malheureusement, papa est décédé huit jours avant d'entendre cette chanson que j'étais en train de finir.

- Vous lui devez beaucoup ?
- Il m'a transmis le désir de lutter contre l'injustice, a toujours été un homme de gauche, un humaniste, socialiste au niveau électoral même si ma mère était d'une famille ouvrière beaucoup plus rouge et athée. Il m'a appris l'amour des mots et, à travers Brassens, la lecture, mon éducation, à lutter contre l'injustice, la misère, l'oppression et je lui en suis infiniment reconnaissant. Des valeurs morales que j'ai essayé d'inculquer à ma fille devenue une petite rebelle, elle aussi.

- Sur le double CD, on trouve « Dans la jungle », chanson consacrée à Ingrid Betancourt !
- En français et espagnol. Le single sorti il y a plus d'un an a été un échec commercial total. Elle aura au moins rempli le rôle que je voulais, servir de drapeau à la cause, nous ouvrir des tribunes dans les médias et motiver d'autres artistes, des citoyens. Mes fans sont devenus des militants acharnés en faveur d'Ingrid Betancourt et des 3.000 otages en Colombie dont 400 enfants. La chanson a bousculé des consciences, c'est le rôle que doivent remplir certaines d'entre elles.

- On a l'impression que rien ne se passe au sommet.
- Il y a eu des erreurs mais globalement le gouvernement français a toujours été très actif pour obtenir sa libération. Je me permets de féliciter l'actuel ministre des Affaires étrangères Douste Blazy qui se démène pour essayer de convaincre les uns et les autres. Johnny Clegg a fait une adaptation que la famille d'Ingrid, comme moi, trouve trop éloignée du sens initial. Je le regrette car l'anglais est perçu beaucoup plus largement à l'échelle de la planète que le français. Je ne désespère pas de voir Joan Baez le faire puisqu'elle a interprété « Manathan Kaboul » dans notre langue. Je l'ai sollicitée et j'attends une réponse.

- « Les bobos » ont donné dès le début de l'été le ton de l'album... Vous écorchez, vous égratignez !
- Un texte moqueur, ironique, amusant sur une catégorie sociale avec pour honnêteté de reconnaître à la fin que j'en fais partie. Certains ont voulu en faire une critique limite raciste ! Il n'y a ni haine, ni méchanceté dans « les Bobos ». Beaucoup de bruit pour pas grand chose chez des gens qui ne m'aiment pas et que je n'aime pas non plus. J'ai d'autres moyens pour les dégommer si j'en avais envie... La chapelle sectaire des « Inrock » me traite de poète foireux à musique indigente. « Libé » en a fait une parodie honteuse, pitoyable, mal écrite et quasiment insultante en me traitant de clodo, d'épave, d'alcoolique. Quand je fais des chansons virulentes, engagées, on me traite de populiste démago !

- Reste le cas de « Elle est facho » !
- Des malins qui ne l'avaient jamais écoutée mais savaient qu'elle finissait par « Elle est facho, elle vote Sarko », l'ont résumée à ça. J'ai eu droit à des crachats, des injures de la droite, de l'extrême droite, de l'extrême gauche également, des écrivaillons de « Voici », Yann Moix est allé jusqu'à écrire que j'avais présenté des excuses à Sarko. Un scandale puisque je n'ai aucune raison de le faire. Je n'ai même pas écrit qu'il était facho mais évoqué une électrice lambda du FN qui au second tour voterait pour lui tant il brasse dans l'électorat de Le Pen en reprenant à son compte ses propositions les plus nauséabondes et ses arguments les plus populistes. Mme Roseline Bachelot, tout en précisant qu'elle a beaucoup de considération pour moi, raconte que mon dernier album est de la daube mais elle n'a pu l'écouter puisqu'il n'est pas encore sorti. Elle aussi s'en est tenu à la rumeur.

- Des politiques ont sollicité votre soutien ?
- Non ! Je ne sais pas si ma voix compte à leurs yeux. De toute façon, j'aurais répondu non pour plein de raisons. Je n'ai pas honte de mes convictions de gauche. J'ai souvent voté écolo au premier tour et socialiste au second... Le seul candidat potentiel pour lequel j'aurais pu militer ardemment, offrir des concerts de soutien et même ouvrir une tribune dans mes propres meetings est José Bové.

 

Renaud